Vous vous êtes vus, aimés, choisis, pour le meilleur et pour le pire. Mais le pire on n’y pense jamais au début de la vie conjugale. Et surtout pas la violence. Alors qu’est ce qui amène la violence dans le couple ? On peut dire que généralement, personne n’y échappe. Que l’on soit jeune, mature, plus âgée, analphabète ou intellectuelle, on a été confronté un jour ou l’autre à la violence face à notre compagnon. Elle peut être physique ou morale, mais on y échappe rarement. Pour debbosenegal je suis allée recueillir le témoignage d’une amie que je connais bien et qui a vécu la violence conjugale et s’en est sortie. Je vous le livre en espérant qu’il sera utile à nos lectrices concernées par le problème.
Moi, une femme battue ? Impensable ! Parfois, quand je me regarde dans le miroir, je n’en reviens pas. Ce que je pensais ne pouvoir jamais m’arriver, m’arrive. Je me souviens étant plus jeune, dans les discussions avec mes amies, comment je traitais de « gnakke fayda » (femmes sans aucune personnalité), les femmes battues par leur mari. Et mes paroles me revenaient en tête : « celles qui se font battre par leur mari n’ont aucune personnalité ! Elles sont idiotes ! Elles sont maso ! Qui, moi ? JAMAIS ! Mon père ne me bat pas, ma mère ne me bat pas, c’est un va nu pieds venu de je ne sais où, sous prétexte qu’il est mon époux, qui va me battre ? CELUI LA N’EST PAS ENCORE NE ! »
Et pourtant…il semble bien qu’il était né quand je parlais, car il a 8 ans de plus que moi. Alors comment cela a-t-il pu m’arriver ? Je me regardais dans le miroir. J’appliquais une crème anti inflammatoire sur mes lésions, car il m’avait encore battue ce matin même. Là, il m’attendait dans notre lit, espérant se faire pardonner encore une fois par des câlins et des serments qui n’avaient aucun sens puisqu’ils n’étaient jamais tenus. Que devais-je faire ? Je me regardais encore dans la glace. Qu’est-ce que j’étais devenue ? La jeune fille joyeuse pleine de vie avait disparue après seulement 6 ans de mariage et deux enfants.
Et pourtant, l’homme que j’avais rencontré un 4 avril, jour de la fête nationale du Sénégal, chez des amis, était beau, semblait doux et plein de sollicitude. Ses amis le traitaient même de « hindou » à cause de sa propension à être trop romantique. On s’est plu tout de suite et on s’est marié très vite, un mois après, mais à peine 6 mois après je découvrais sous sa gentillesse une jalousie morbide.
La première fois qu’il a levé la main sur moi c’était après m’avoir trouvée en grande conversation avec un de mes collègues devant la banque en venant me chercher après le travail. Rien que de me voir rire avec quelqu’un d’autre, il avait vu rouge. Il était resté silencieux dans la voiture, mais une fois à la maison, a laissé éclater sa colère. Plus il s’énervait, plus cela m’amusait, et plus je me moquais de lui et plus il devenait furieux et la gifle a claqué. J’étais abasourdie ! Je riais parce que je me sentais plutôt flattée de sa jalousie, cela prouvait qu’il m’aimait, mais lui pensait que je me moquais. Après la surprise, ce fut la douleur. La gifle était violente et je me sentais insultée physiquement et moralement. Aussitôt il regretta son geste et se mit à me consoler, pendant que je pleurais à chaudes larmes. Il jura qu’il m’aimait et ne recommencerait plus jamais. Je le crus sur parole.
Hélas ! J’aurais dû écouter ma meilleure amie qui, dès le lendemain me sermonna en me disant que j’aurais dû réagir tout aussi violemment en quittant la maison, ou faisant chambre à part, en tout cas ne pas pardonner aussi vite, car il recommencera, à coup sûr. « C’est comme cela que ça commence. Dis-toi qu’à partir de maintenant tu fais partie des femmes battues par leur mari ». « Tu exagères ! Une gifle et tu me mets dans le lot des femmes battues ? ».
Je protestais mais elle avait raison. Je ne me souviens même plus la cause de la 2ème, 3ème, 4ème fois. Je me souviens qu’une fois c’était en plein grossesse de ma seconde fille, et cette fois-là j’ai quitté la maison pour me réfugier chez mes parents. Il vint me chercher en se jetant à mes pieds. Ma mère avait compris dès le début qu’il me battait et me demandait de rester avec lui et de patienter, ça finira par s’arrêter. Car après tout c’était juste un excès de jalousie, il était amoureux et me choyait. Toutes mes amies m’enviaient. Elle-même, plus jeune, avait dû affronter les foudres de mon père et ce dernier s’était calmé au fil du temps. Je décidais de faire comme elle, car mon mari était quand même doux et aimant, m’entourait de toute son affection, et avait beaucoup de petites attentions. Il m’emmenait souvent en voyage car lui-même se déplaçait souvent pour ses affaires. Il me couvrait de cadeaux, disant que je lui avais porté bonheur, car ses affaires étaient devenues florissantes depuis notre mariage. Mais surtout, je l’aimais et ne concevais pas de vivre sans lui. Etais-je devenue maso moi aussi ? Car après les claques, les réconciliations étaient tellement douces et agréables…
Il me demandait souvent d’arrêter de travailler car il gagnait assez pour nous deux, il voulait que je reste à la maison loin des regards, ne voulait pas que je fréquente mes amies et mes cousines, mais pour moi c’était inimaginable car sans mes amies et parents j’étouffais. La vie de recluse qu’il voulait pour moi ne me convenait pas et ne me ressemblait pas du tout. Après mes deux maternités et les enfants grandissant, je supportais de moins en moins les coups. Au travail mes lunettes noires étaient devenues le symbole de la femme battue. Mes collègues avaient beaucoup de respect pour moi mais ne comprenaient pas mon inertie face aux traitements qu’il m’infligeait. Tout le monde me demandait de réagir et je remettais à la prochaine fois ma réaction.
Aujourd’hui, à 42 ans et deux enfants de 5 et 2 ans qui hurlaient de frayeur chaque fois qu’on se battait, j’avais l’impression de me voir telle que j’étais devenue. Et là devant ce miroir, dans ma grande salle de bain odorante, je me posais enfin les vraies questions sur ma vie. J’avais un mari qui m’aimait mais considérait que j’étais sa propriété privée et me battait. J’avais deux mignonnes petites filles. J’avais une belle maison, une belle voiture, gardiens, chauffeur et domestiques, je voyageais souvent et ne manquait pas d’argent. Ma belle-famille m’aimait et ne me fatiguait pas du tout. Mon mari n’avait qu’une sœur mariée aux USA et ses parents étaient à l’aise. Mais j’avais aussi mon travail et gagnais bien ma vie. J’avais les moyens d’être autonome, alors pourquoi n’avais-je pas réagi toutes ces années ? Devais-je suivre l’exemple de ma mère et endurer jusqu’à ce que mon mari se calme ? Ou devais-je partir définitivement ?
J’optais pour cette solution. Pour la première fois depuis mon mariage, un sentiment de rage me dominait. Je suis sortie de la salle de bains, mon mari lisait tranquillement en m’attendant « où vas-tu ? » « voir si les filles dorment ». J’allais dans la chambre des enfants, elles dormaient en effet, je les ai prises dans mes bras et en robe de chambre je suis descendue au rez de chaussée, j’ai pris la clef de ma voiture sur la commode à l’entrée et suis partie chez mes parents dans la nuit. La suite c’est : il a appelé, a pleuré, s’est excusé, a menacé. Puis, procédure de divorce long et pénible. Mais aujourd’hui j’ai retrouvé la forme, ma liberté et ma joie de vivre et j’ai la garde de mes enfants. Dieu n’a demandé à personne de souffrir, c’est nous mêmes qui décidons de vivre et de rester dans la souffrance. Le temps de nos mères qui enduraient parce qu’elle n’avait pas le choix est révolu ! Je n’ai pas pu me résigner à faire comme elle, parce que moi, j’avais le choix. J’ai perdu mon train de vie, mon mari, une belle-famille adorable, mais ça en valait la peine !