« Dans les corps armés, c’est la tenue qui compte ; pas le sexe ! »
Atteinte par l’âge de la retraite, la commissaire de classe exceptionnelle Mme Aby Diallo a décroché de l’administration, avant d’être sollicitée pour intégrer la Centif. Cette dame, qui a été commissaire à l’âge de 28 ans, nous relate son parcours dans la police. Elle estime également que la loi sur la parité a été dénaturée sous le régime de Wade. Entretien avec l’une des premières sénégalaises en uniforme.
: Quand on parle de Mme Aby diallo, la première image qui nous passe à l’esprit, c’est celle d’une dame de fer, froide et sévère, mais nous découvrons, lors de cette prise de contact, une femme affable, simple. Qu’est-ce qu’on doit retenir d’autre de vous ?
Je suis touchée par cette belle remarque. Je dirai que j’ai fait toutes mes études à Dakar, d’abord à l’école primaire de Grand-Dakar, puis au lycée Blaise Diagne avant d’être orientée à la faculté de droit de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. J’ai décroché une maîtrise en droit privé option judiciaire, et un DEA en droit privé à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je fais également partie de la première promotion de femmes admises dans la police. Elle est composée d’inspecteurs et de sous-officiers.
: Pourquoi l’école de police? C’est un choix ou un accident de parcours ?
Je dois dire que c’est par accident. Je me rappelle quand j’ai réussi au concours d’entrée en 6e, en 1966, mon père a tenu à savoir ce que je voulais devenir, j’ai répondu »magistrate »! Il a souri et m’a rectifiée me faisant comprendre qu’on disait simplement magistrat. J’ai toujours rêvé de faire carrière dans la magistrature. Après le baccalauréat, j’ai fait ma première option d’orientation à la faculté de droit de l’Ucad. Je me suis donné les moyens de mener une carrière dans la magistrature. Mais comme on a tendance à le souligner, les voies du Seigneur sont insondables. En 1980, l’année où j’ai obtenu ma maî trise, le concours d’entrée à l‘ENAM venait d’être lancé. Figurez-vous que pour cette première année, 10 personnes ont été recrutées, je me suis classée 11e. J’étais juste à la porte.
: Exclue ! Votre déception était grande ?
Je n’en croyais pas mes yeux. C’était extraordinaire. Je n’ai jamais redoublé durant tout mon cursus, je venais d’essuyer mon premier échec. Je nourrissais ce rêve depuis l’âge de 13 ans, c’était extrêmement dur. Mon réconfort : c’est le fait que j’étais déjà mariée. Je portais la grossesse de ma troisième fille, j’étais soutenue et soulagée par ma famille. Et ma mère m’a dit deux semaines après qu’elle n’avait jamais souhaité que je sois magistrat.
: Ses vœux se sont alors exaucés ? On sait que certains pensent qu’un vrai musulman ne peut assumer cette fonction ?
Voilà. C’est 6 mois avant son décès qu’elle m’a fait cet aveu. Elle n’a jamais voulu que j’exerce cette profession par conviction religieuse comme vous dites. J’avais remarqué qu’elle était insensible à mon échec. Elle m’a avoué qu’elle a préféré que je sois sage-femme. Elle avait prié pour que je ne réussisse pas au concours. Je n’avais plus envie par la suite de faire quoi que ça soit. J’ai postulé au programme des maitrisards chômeurs, initié par le Premier ministre de l’époque, M. Habib Thiam dans les années 80. J’étais affectée à la Sonacos comme cadre, avec un contrat d’un an et un salaire fixe. On n’était pas surs d’être recrutés et dans les deux semaines qui ont suivi, la deuxième édition du concours de la police a été ouverte aux femmes, je me suis présentée, encouragée par ma famille.
: En 1980, les femmes qui s’intéressaient à ce »métier d’homme » étaient-elles nombreuses ?
Il y avait un important nombre de femmes. Mais c’est mon grand-frère qui était déjà dans la police qui m’a convaincue de le faire. Mon mari de l’époque, M. Djibril Hamat Diallo m’encourageait aussi. Étant donné que j’avais une famille de policier, que mon beau-père était aussi un gendarme, ma mère a sauté de joie. Elle a apprécié, me disait-elle, que j’ai décidé d’hériter du métier de mon père. Les épreuves ont été abordables. Codou Camara et moi avons réussi le concours avec brio.
: Vous aviez trouvé ainsi votre vocation ? Vous n’avez pas tardé à vite gravir des échelons. Comment avez vous retrouvé vos marques dans cette profession ?
Je tiens à souligner que l’admission des femmes dans la police est le fruit d’une lutte ardue des mouvements de femmes. Nous devons aussi une fière chandelle à Mme Maïmouna Kane, ancienne ministre de la condition feminine qui avait instruit cette requête de façon réccurente lors de la quinzaine de la femme. Je suis aussi tombée sur des superieurs qui avaient une belle finesse d’esprit. Mouhamadou Moustapha Sarr était tout heureux d’encadrer la première femme commissaire de police. Il m’a épaulée et a guidé mes premiers pas. J’ai ainsi débuté ma carrière à la sureté urbaine qui représentait la police judiciaire par excellence. Elle coiffait tout Dakar, la Dic existait déjà mais elle n’avait pas cette envergure. De grands dossiers m’ont été confiés et cela a été déterminant dans ma carrière. J’ai été nommée, après les événements de la police 1987, chef de la section administrative puis commissaire d’arrondissement à saint louis. Le directeur de la sureté urbaine, Lamine Cissé, devenu Général, voulait me confier le commissariat du Plateau, Jean Collin alors ministre de l’intérieur, patron de la police, a tenu à ce qu’on m’affecte à Saint Louis vu que mon mari servait là-bas.
:Justement Mme Dior Sow Fall, qui avait atterri à Saint louis comme procureur, a eu du mal à s’imposer.L’autorité d’une femme était mal vue dans cette contrée, avez-vous vécu une telle expérience ?
Cela m’est arrivé une seule fois avec les gens de guet ndar, mais l’expérience de Dior les avait réveillés. Tous me racontaient l’incident qui s’était produit entre Dior et avec le vieux Dial au tribunal mais franchement je n’ai pas rencontré de difficultés majeures. Le seul problème, c’était les joutes politiques, j’ai du gérer des tensions politiques entre des ténors de la vie politique saint-louisienne. Mais j’étais une promotionnaire de la plupart de ces cadres comme l’ancien ministre Ousmane Ngom, cela a été un atout pour moi.
: Vous avez eu à parler de carrière brillante, mais des difficultés n’ont certainement pas manqué ?
Chronologiquement, c’est une carrière brillante car j’estime que le charme de la vie repose sur les difficultés qu’on rencontre. Chaque fois, qu’on parvient à les transcender, on se dit qu’on a réussi. Ce n’était pas évident pour une jeune fille de 28 ans qui est nommée commissaire d’arrondissement, même commissaire tout court, avec des hommes à diriger. L’avantage dans les corps armés, on n’a pas le droit de regarder qui est derrière la tenue. Il vous est interdit de voir si le commissaire est un homme ou une femme. Ce respect est imposé. N’empêche qu’il y a eu des grincements de dent mais, chacune de nous, de par sa personnalité, a dû imposer la discipline et le respect à ses collègues.
: Dans l’imagerie populaire, un commissaire de police, est celui qui se bat contre les grands bandits, est ce que vous avez eu à avoir affaire à de grands bandits?
On a eu à faire des dossiers de vol à main armée, des braquages, des meurtres, des infanticides, ce sont des délits et des crimes que nous instruisons. Nous faisons les recherches avec nos collaborateurs. Le commissaire n’a pas vocation de courir derrière les bandits, sa vocation est de concevoir le plan d’enquête, le plan d’investigation et de le faire exécuter par les hommes. C’est vrai que sa qualité d’officier judiciaire fait que pour les infractions, il doit être sur le terrain, il doit constater, sur instruction sous l’autorité du procureur, mais dans chaque commissariat, il y a une brigade de recherches, constitués d’éléments formés à cet effet.
: Comment avez-vous géré les émeutes de 1994 avec des policiers qui ont été tués?
C’était en février 1994. Je rentrais de Saint louis après une mission de cinq ans. Je venais d’être réaffectée à Dakar. J’avais atterri dans un service administratif plus précisément à la division des passeports comme chef de la division de la police des étrangers et des titres de voyage. Pour vous dire que j’ai suivi les événements à distance, plus précisément par le biais de la radio.
: Commissaire à la police des étrangers, un nouveau défi pour vous ? Etait-ce une lourde charge ?
J’étais, en fait, chargée du contrôle de l’émigration, de la délivrance des cartes d’identité qui est l’équivalent des cartes de séjour. Je l’ai trouvé difficile à cause de certaines réalités qui prévalent dans la sous région. Le Sénégal a signé beaucoup de conventions telles la libre circulation dans l’espace Cedeao, qui permet aux populations originaires des états membres de venir et s établir comme ils veulent. Il y a aussi la convention d’établissement mais les Africains de la sous région posent ils le problème sous cet angle, non ? Ils ont tendance à oublier que l’enregistrement est obligatoire, le contrôle des étrangers s’impose car ils sont tenus de renouveler leur titre de séjour. Mais des Sénégalais, contreviennent à l’ordre en essayant d’user d’un trafic d’influence. Ils aident certains étrangers à s’établir au Sénégal, moyennant un peu d’argent ou sur la base d’une amitié. Cela me dérangeait beaucoup.
: Il y’ avait beaucoup de pression à gérer ?
Oui parce que les gens ne cernaient pas les enjeux de la gestion des étrangers. C’était une question sécuritaire et de sauvegarde de la souveraineté nationale. Le commun des Sénégalais ignore cette réalité. Ils mettent en avant des relations personnelles. Et le jour, où une brouille les oppose à ces étrangers, ils s’en prennent à la police qu’ils reprocheront d’avoir failli à sa mission.
: A votre avis, que devrait être aujourd’hui ce service face à la menace terroriste ?
Je pense que ce service a réalisé des bonds qualitatifs même s’il y a des améliorations à faire. J’en parlais récemment avec Anna Sémou Faye car il y’a une nécessité de renforcer le dispositif. Quand j »ai quitté cette direction en 2006, je me suis retrouvée en 2010, à la tête de la police de l’air et des frontières. Je gérais les entrées, les frontières. On s’est rendu compte que les gens circulaient beaucoup et qu’il y avait un besoin très urgent de gérer les frontières et renforcer l’effectif. Car un poste frontalier doit être équipé sur tous les plans.
: Pensez-vous que le Sénégal a fait des efforts dans ce domaine ?
Je pense que oui, car depuis deux ans, je vois beaucoup de dotations en véhicules, qu’on envoie dans ces postes frontaliers, mais est-ce que le recrutement a suivi, je ne sais pas. Avec tous ces départs pour les missions des nations unies, il y a eu beaucoup de saignées. Cela pose problème.
: Vous avez eu à occuper des postes stratégiques, et jusqu’à présent, la plupart, des femmes tardent à occuper des postes de décision, le mariage serait l’élément perturbateur à la promotion des femmes. Votre appréciation ?
Je pense que c’est un prétexte facile pour ne pas promouvoir les femmes. Quand je suis arrivée à la police, j’étais à mes 9 ans de mariage. Je n’ai jamais eu du mal à allier travail et ménage. C’est un service actif de jour et de nuit. Le fonctionnaire de police, à l’image de la sage-femme, prend des jours de garde pour assurer la permanence. La personnalité du fonctionnaire est importante. Chaque métier a ses contraintes et ses avantages, il faut savoir assumer ses choix. Je dirai que j’ai eu la chance d’avoir un mari qui m’a encadrée, soutenue. On s’est marié avant que je ne décroche le baccalauréat. Durant tout mon cursus universitaire, j’étais dans mon ménage. Du coup, l’activité professionnelle n’a jamais été un fardeau pour moi, bien au contraire. Jamais je n’ai pris prétexte de mon ménage pour reculer devant une mission de police.
: Vous avez eu à parler d’Anna Sémou Faye, comment avez-vous eu accueilli son arrivée à la tête de la police nationale ?
J’étais très contente pour elle, pour nous. Parce que c’est un poste que nous pouvons assumer, elle est en train de relever le défi. Elle est un challenger. J’étais à trois mois de la retraite quand elle a été nommée à ce poste, mais je pense qu’elle est tout à fait indiquée pour occuper cette fonction, elle a été commissaire administrative, elle connaît bien la police.
: Est-ce que la police a bien évolué au Sénégal si vous jetez un regard rétrospectif ?
Je dirai que oui. Car lorsqu’on a réussi au concours de police, il n’y avait aucune disposition pour la sexo-spécificité, comme on le dit, dans le langage genre. On était censé subir, les mêmes contraintes que les hommes, aussi bien à l’école que dans les services. Maintenant, je vois que les femmes sont un peu plus nombreuses, car au début, il n’y avait pas de discrimination positive. Je me suis battue durant toute ma carrière pour cela. Car après la promotion d’Anna Sémou Faye qui vient après moi, on est resté 20 ans sans qu’il y ait une femme admise dans la police. Ce n’est pas parce que les femmes ne sont pas à la hauteur ou qu’elles n’aiment pas la police, mais c’est parce qu’elles sont victimes de la loi du nombre. Par exemple, quand on décide de prendre les vingt meilleures, il y a des risques que les femmes ne soient sélectionnées.
: À cause de leur infériorité numérique ?
Pour un concours comme celui de police, il y a des milliers de candidats, donc prendre trois quatre femmes, je me suis toujours battue pour cela. Et j’ai appris, avec fierté, que depuis quelques années, on réserve des places aux femmes. Je trouve que c’est une approche positive qui tend à féminiser la police surtout que la féminisation de la police est adoptée partout dans le monde. Elle est aussi encouragée par le système des nations unies.
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: Qu’est-ce que ces mutations apportent-elles concrètement ?
Elles apportent beaucoup d’amélioration dans la conduite des actions. Par exemple avec la résolution 13-25 des nations unies, et la convention de Maputo la prise en charge des violences basées sur le genre, la prise en charge de la sécurité des femmes dans les champs de guerre, dans les zones de bataille, les femmes sont absolument indispensables. Elles prennent en charge les femmes en situation de détresse, en zone de guerre, qui sont violentées, qui sont malmenées. Il n’y a que les femmes formées à cet effet, qui peuvent les prendre en charge. La présence des femmes soldate ou femmes policières est incontournable en situation de conflit.
: Le combat sur la parité qui a induit des avancées notables dans la promotion des droits de la femme est toujours décrié dans nos sociétés, certains pensent qu’elle est contraire à nos valeurs. Votre avis ?
Sur cet aspect, je pense déceler quelque part une volonté de caricaturer le concept. Parce que quand on dit parité, l’entendement dans ce que je crois comprendre, c’est à compétence égale, traitement égal. Car comment admettre qu’un homme ou une femme Bac +, fassent le même concours, se retrouvent dans la même administration, que l’on considère l’homme comme chef de famille, avec tous les avantages familiaux et fiscaux, la femme, on la considère comme célibataire sans charge familiale. Si on se fie à nos valeurs traditionnelles, aussi bien, la fille que le garçon a l’obligation d’entretenir ou d’aider ses parents, sa famille. Ensuite, une femme mariée, elle a également sur le plan du droit civique, l’obligation de participer aux frais et charges du ménage même si toutes les charges incombe au mari. Même nos mamans se battaient pour contribuer à l’entretien. Maintenant parce que vous êtes fonctionnaires, on vous prélève 20 % de votre salaire sous prétexte que vous n’avez pas de charge familiale, alors que le mari vous laisse toutes les charges. Sur 10 enfants bacheliers qui poursuivent leurs études à l’étranger, les 8 ont pu le faire grâce aux économies de leur maman. Donc il y a une injustice à corriger.
: Quitte à remettre en cause l’autorité paternelle et d’instituer l’autorité parentale ?
Là, je serai plus nuancée. Tant que le couple vit ensemble, je suis d’accord que l’autorité paternelle soit exercée par le père, car ce sont des valeurs qui ne gênent en rien la vie moderne. Au contraire, c’est de sa responsabilité. Même si il faut déplorer que des femmes monoparentales, aient du mal à s’acquitter de certains actes administratifs. On leur demande l’autorisation paternelle. Quand vous êtes divorcé, le père vous fait valser. Cela pénalise l’enfant. Il est question de l’aborder sous l’angle de la défense des droits de l’enfant. Autre chose : la représentation égale des femmes dans des instances de décision, je pense qu’elle a été, à un moment donné, escamotée par l’autorité publique. Je suis membre de l’Association des juristes sénégalaises, qui a un statut de consultant auprès du chef de l’Etat. Nous avions soumis des observations à l’ancien chef de l’Etat sénégalais, Me Abdoulaye Wade, qui a promulgué cette loi. Mais quand la loi a été votée, on s’est rendu compte qu’elle a été dépouillée et dénaturée. Je dénonce cette volonté de caricaturer la parité mais je pense que bien pensée, elle est juste et légitime. Dans le mouvement politique, si elles ne sont pas mobilisées, rien ne marche
: Même si elles sont instrumentalisées politiquement ?
Le combat des femmes leaders, des intellectuels, c’est de faire prendre conscience à nos sœurs, qu’elles doivent dépasser ce niveau d’instrumentalisation. Et il y a des femmes qui œuvrent à cela.
: Pour finir on va parler du Centif, vous êtes membre de la Cellule de traitement de l’information financière, à quoi sert cette commission ?
La Centif a une essence sous régionale. Elle émane de l’UEMOA. Tous les pays membres de l’Uemoa ont leur CENTIF ou leur CEREF. Le principe fondateur de la CENTIF c’est le secret. Mais c’est une cellule qui fonctionne sur la base d’un consensus, quand on est saisi d’un dossier chaque membre a sa spécificité. Nous sommes tenus par l’obligation de réserve.
: A quel niveau pouvez-vous communiquer puisque la base de votre travail, c’est d’agir dans le secret ?
Il y a un rapport de la Centif qui est présenté, chaque année, au ministre des finances qui révèle le nombre d’infractions constatées. Sinon, on ne peut rien dire de plus.
Propos recueilli par : Kowido et Marième mbengue