Pour la présidente du Comité de lutte contre les violences faites aux femmes, Mme Penda Seck Diouf, «il y a actuellement beaucoup de dérapages !»
: Le viol prend de l’ampleur au Sénégal. Comment l’expliquez-vous ?
P.S.D. : Le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (CLVF) a enregistré plus de 2 862 cas de violences sous toutes leurs formes aussi bien à Dakar que dans les autres régions du pays. D’autres données du Comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants confirment cette thèse : entre 2006 et 2007, 400 viols ont été publiés, parmi lesquels des viols sur des petites filles et même des femmes âgées. Durant le second semestre de l’année 2009, 1,3 viol par jour est traité au tribunal de Dakar, 384 cas de viols rapportés par les antennes régionales du CLVF, plus de 806 femmes victimes d’agressions en 2014.
: Le Sénégal a pourtant renforcé son arsenal juridique. Et malgré les mesures répressives, la tendance est toujours à la hausse. Pourquoi ?
P.S.D. : Le Sénégal dispose d’un arsenal juridique intéressant. Mais comme obstacle, on peut relever une certaine insuffisance dans l’application des lois. Ce qui favorise l’impunité. Par exemple la non-harmonisation de la législation interne avec les conventions signées et ratifiées par le Sénégal. Un autre problème est la difficulté d’accès à la justice et au Fonds d’assistance juridique et judiciaire par les femmes, notamment les femmes rurales qui sont les plus frappées par l’analphabétisme juridique. Le manque d’infrastructures d’accueil et d’hébergement des femmes et des filles victimes de violences, la non-inscription budgétaire des violences faites aux femmes et aux filles dans les politiques et les programmes font aussi partie des obstacles à relever pour assurer le bien-être aux femmes. Sans compter l’absence d’un dispositif national de collecte et de traitement des données relatives aux violences faites aux femmes et aux filles ainsi que l’accès à l’information.
: Que faudrait-il pour éradiquer ce fléau ?
P.S.D. : J’opte pour la mise en cohérence des objectifs d’élimination des violences faites aux femmes et aux filles avec ceux de la recherche de solutions durables à la pauvreté pour un Sénégal émergent. L’Etat doit accorder une attention plus soutenue à ce combat mené par les femmes. Il serait bien qu’il affecte, au moins 1 % du budget national à la lutte contre les violences faites aux femmes. L’allocation de ressources conséquentes aux organisations actives dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, par une subvention annuelle sous forme de fonds d’appui et d’assistance, permettra aux organisations de réaliser plus efficacement les objectifs de prévention, d’accompagnement, de prise en charge des victimes de violences. Surtout les plus pauvres et les plus démunies. Il faudra également des mécanismes pour l’implication des communautés de base, notamment les hommes et les garçons dans la prévention primaire et dans le plaidoyer. L’autorisation aux associations et organisations de défense des victimes de violences basées sur le genre à pouvoir se constituer partie civile doit leur être donnée.
: Hormis ce tableau, on a découvert une nouvelle race de jeunes filles qui accusent injustement des hommes de viol pour laver leur honneur. Quelle est votre appréciation et quelles mesures prendre ?
P.S.D. : C’est désolant ! Malheureusement, cela existe. C’est pourquoi il faut bien encadrer toutes ces lois et ne pas en faire une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des hommes. Cela fait reculer terriblement, si on apeure l’autre moitié de la population. C’est une question d’équité, pas de règlement des comptes. Actuellement, il y a beaucoup de dérapages, même en ce qui concerne les violences domestiques. Il faut que les populations comprennent bien cela, notamment les femmes. L’objectif de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, c’est d’avoir des sociétés avec des relations apaisées, sécurisées, équilibrées, exemptes de relations de dominants/dominés. C’est d’avoir des sociétés où hommes et femmes jouissent de leurs droits fondamentaux.