Faiseuses de rois, encloses dans des sphères qui leur seraient spécifiques (danse, mobilisation, applaudissements, cuisine, etc.) dans les manifestations politiques nationales, mais jamais portées aux fonctions suprêmes de la République ! Depuis longtemps, les femmes se sont transformées en force d’appoint au service d’appareils politiques écartelés entre misogynie et sectarisme mâle, avec leur assentiment le plus souvent.
Il est vrai que, dans ces quinze dernières années, un palier a été franchi avec les nominations de Mame Madior Boye (mars 2001 – novembre 2004) et d’Aminata Touré (septembre 2013 – juillet 2014) au poste de Premier ministre sous Wade d’abord, Sall ensuite. Mais après, plus rien ! Aujourd’hui, alors que la présidentielle de 2017 promet d’être très ouverte, la perspective qu’une femme y prenne part se fait désirer dans des cercles d’émancipation féminine. Mais la difficulté est ailleurs : y en a-t-il de vraiment crédibles dans le landernau ?
À priori, tous les regards se tournent vers Me Aïssata Tall Sall. L’ex-ministre de la Communication, maire de Podor depuis 2009, semble présenter le profil de l’emploi. Son expérience de l’appareil socialiste, la détermination tactique dont elle sait faire preuve en des circonstances peu favorables – comme lors de son élimination prématurée à l’élection du secrétariat général du Parti socialiste en juin 2014 – son expérience gouvernementale et un ancrage local durable en font une pré-candidate normale. Ni farfelue ni extraordinaire.
Seulement, celle qui déteste être comparée aveuglément à Ségolène Royal n’est pas forcément maîtresse de tout son destin politique. Quand bien même elle a perdu ses galons de porte-parole du Ps après le congrès de juin 2014, elle n’en reste pas moins militante et responsable (sans responsabilités). Vieux parti dit de discipline, le Ps du très dirigiste Ousmane Tanor Dieng n’acceptera donc aucune candidature de l’intérieur sur ses flancs. Pour l’avocate, déroger à la ligne équivaudrait à risquer une sanction pouvant aller jusqu’à l’exclusion.
L’autre écueil que devrait surmonter Aïssata Tall Sall s’appelle Khalifa Ababacar Sall. Le secrétaire politique du Ps est de plus en plus cité comme un candidat potentiel pour le Parti socialiste. Or, même s’il cultive le silence à ce sujet, le maire de Dakar bénéficierait d’une plus grande confiance que le maire de Podor dans la perspective de porter les couleurs de son parti en 2017. Autant dire qu’il lui sera difficile de passer par la maison verte si elle devait s’engager.
Dans tous les cas, resterait l’option d’une candidature qu’elle porterait pour une coalition qui serait issue de la société civile sénégalaise, à l’instar des aventures de Mamadou Lô et Mame Adama Guèye dans un passé récent. L’histoire a néanmoins montré que ce chemin là est particulièrement dur. Mais la question fondamentale est la suivante : Me Aïssata Tall Sall a-t-elle l’envie et l’ambition d’aller défier Macky Sall dans deux ans exactement ?
Une autre « lionne », celle dite du Baol, aurait pu être un symbole de rupture pour un Parti démocratique sénégalais (PDS) encore traumatisé par ses déconvenues électorales de 2012. Il s’agit de Mme Aïda Mbodj, ex-maire de Bambey, et depuis un an présidente du conseil départemental. À elle seule, cette femme volcanique et belliqueuse si les circonstances l’exigent est déjà une machine à gagner (élections locales de 2009 et 2014).
Il lui arrive certes de jouer les tribuns lors de manifestations publiques du Pds contre le pouvoir en place, mais elle a politiquement signifié à Me Wade qu’elle ne ferait pas n’importe quoi si l’avenir du Pds était en jeu. D’où son refus récent de cautionner le parachutage de Karim Wade au statut de « candidat du Parti démocratique sénégalais » à la prochaine élection présidentielle.
À dire vrai, Aïda Mbodj est une battante dotée d’une volonté de fer et d’un certain courage politique à assumer ses postures. Plusieurs fois ministre de la république, détentrice d’une assise locale qui ne fait plus l’ombre d’un doute, a-t-elle cependant l’envergure d’une présidentiable prête à assumer les fonctions suprêmes de Présidente de la République du Sénégal ?
Un Abdoulaye Wade moins sanguin, plus démocratique, plus lucide et capable de voir à des horizons plus éloignés que ceux tracés pour son fils, aurait pu favoriser l’ascension à la tête du Pds d’une femme au vu des sacrifices énormes que la gent féminine a consacrés finalement à son arrivée au pouvoir en 2000. Aïda Mbodj aurait pu être celle-là ! Jusqu’à quand résistera-t-elle à l’appât du pouvoir ?
Pour toutes ces femmes – Aïssata Tall Sall, Aïda Mbodj, mais aussi pour Aminata Touré, Aminata Mbengue Ndiaye, etc. – l’histoire avec la présidence de la république est peut-être loin d’être finie. Par contre, elle est radicalement passée aux archives en ce qui concerne Marième Wane Ly. La présidente du Parti de la renaissance africaine (PARENA) a pourtant été une locomotive, un précurseur de la candidature féminine au scrutin présidentiel dans notre pays. Elle n’a pas été au bout de ses intentions, par manque d’assurance, de moyens, de confiance en elle peut-être, mais aussi de soutien dans le vivier électoral d’influence qu’est celui des femmes.
Pionnière dans ce qui pourrait être à l’avenir un véritable bouleversement des logiques de représentation sexiste dans les partis politiques et les instances représentatives nationales et locales, elle l’a été. Sa faute aura consisté à aller se fourvoyer dans les entrailles de la galaxie wadiste pour en être finalement une victime comme d’autres. Aujourd’hui, et selon sa propre expression lors d’une sortie médiatique au mois de mars dernier, elle assure être « le seul militant » de son parti.
Objectivement, la surprise serait donc grande de voir une femme de grosse pointure sur la ligne de départ de l’élection présidentielle de 2017. La vérité est que des paliers doivent encore être franchis pour celles qui sont en situation à l’intérieur des grandes formations politiques. Le passage obligé serait donc l’exemple d’Aminata Touré : faire ses armes à l’interne, accepter d’essuyer des défaites, se relever toujours, ferrailler avec les mâles, passer par les postes ministériels, assumer de grandes fonctions politiques et gouvernementales pour gagner en expérience, crédibilité, assurance, et se projeter dans la durée. Les candidatures spontanées ont largement démontré leurs limites pour que l’approche visant à parvenir au sommet de l’Etat soit maîtrisée et mise en œuvre de manière rigoureuse. Pour cela, il s’avère indispensable de dépasser l’art de la danse et des applaudissements dans l’arène politique.