La participation des femmes à la formulation, la planification et l’exécution des politiques publiques continue d’être faible, alors même que la communauté internationale a reconnu qu’il ne peut y avoir de développement durable sans la pleine participation des femmes. La mise en œuvre d’une approche genre fait partie intégrante du Plan Sénégal Emergent (PSE) avec pour objectif des changements sociaux en faveur de l’autonomisation des femmes, des droits humains et de l’égalité des femmes et des hommes. Dans une interview accordée à Debbosenegal, Madame Fatou Sow Sarr, sociologue, directrice du laboratoire Genre de l’Ifan et nouvelle présidente du Rasef est revenue sur les enjeux du moment et les transformations attendues dans le cadre de la mise en œuvre du PSE, pour que les femmes du Sénégal participent pleinement à la création de richesse.
: Quelle est la situation de la femme sénégalaise hier et aujourd’hui et quel est son rôle dans le développement économique et social ?
F.S.S : La femme a toujours occupé une place centrale dans notre système de production. Dans l’économie précoloniale, elle avait la charge de la reproduction de la force de travail avec la responsabilité de la production des denrées alimentaires, le mode de production occidentale a entrainé un modèle économique extravertie, orientant les hommes vers la production des cultures d’exportation et l’accès au revenu monétaire et confinant les femmes dans la production vivrière.
: Le Président de la république, Macky Sall a lancé en grande pompe, le Plan Sénégal Emergent qui est une stratégie de développement visant à améliorer significativement les conditions de vie des populations.
En votre qualité d’observatrice avisée et de leader d’un réseau de soutien à l’entreprenariat féminin, que vous inspire cet ambitieux projet ?
F.S.S : Le Plan Sénégal émergent (PSE) qui est la nouvelle stratégie de développement du Sénégal à l’horizon 2035 constitue un véritable levier catalytique pour le développement du Sénégal, de par l’esprit et la vision qui le sous-tendent. Par son caractère holistique, axé sur le changement structurel de l’économie, il offre des opportunités réelles pour une meilleure reconnaissance du potentiel des femmes et de leur participation effective dans les secteurs productifs en tant qu’actrices du développement économique et social de notre pays. Cependant, comme toute stratégie de développement, le PSE n’aura pas ipso facto les mêmes impacts positifs ou négatifs sur toutes les couches de la population sénégalaise à cause des situations socio-économiques, des conditions et statuts initiaux différents et différentiés des uns et des autres. Ainsi, si la dimension genre n’est pas suffisamment prise en compte, le PSE risque de creuser l’écart entre hommes et femmes pour les 20 ans à venir et par conséquent de ne pas atteindre les objectifs de croissance fixés, c’est pourquoi nous nous sommes engagées à travers le RASEF (Réseau africain pour le soutien à l’entreprenariat féminin) à accompagner ce programme pour une opérationnalisation de la prise en compte du genre.
Ceci, parce que nous avons noté que l’approche est centrée sur les dimensions sociales et juridiques des questions de genre, et qu’il y a un déficit de données de références sur la dimension économique du genre; les rubriques du PSE n’ont pas été ventilées par sexe, pour permettre aux femmes d’être des bénéficiaires et des partenaires obligatoires des projets.
: Si le PSE, s’inscrit dans une lutte plus soutenue contre les inégalités sociales, pensez vous que les femmes qui représente 52% de la population soient au cœur du PSE ?
F.S.S : Le PSE en posant le principe de justice sociale et d’équité intègre l’ensemble des couches sociales y compris les femmes. Des mesures ont été prises pour l’accès des femmes au crédit aux services sociaux et une meilleure présence de l’agriculture familiale mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire que pour tous les 27 projets qu’on détermine la part des femmes.
: Pouvez-vous nous citer parmi les projets et programmes phare du PSE, quelques uns qui prennent en compte les besoins, les droits et les contributions des femmes dans toutes ses composantes, suivant une approche intégrée ?
F.S.S : Beaucoup de projets prennent en compte la femme, mais l’approche est encore parcellaire, elle se focalise sur le crédit et les dimensions sociales. Par exemple, pour l’agriculture l’accent est mis sur les exploitations familiales, or les femmes doivent aussi avoir leur part dans l’agro-business, en ce qui concerne l’habitat, il ne s’agit pas simplement de l’accès au logement mais de leur donner une part du marché de construction, etc.
: Quelles seraient les retombées économiques, sociales et sanitaires de l’émergence pour les Sénégalaises ?
F.S.S : Les retombées seront bénéfiques pour toute la société y compris les femmes, à condition que la croissance ne soit pas tirée principalement par les exportations et les investissements étrangers, mais par ceux qui sont au cœur de l’économie nationale (les femmes y compris) pour espérer le ruissellement attendu sur une large frange de la population. Il est dès lors indispensable d’inscrire les questions d’autonomisation économique des femmes au cœur de la mise en œuvre effective PSE. L’idée est d’appréhender les conditions requises pour leur permettre d’accéder à de nouvelles opportunités pour réaliser un changement transformationnel sur la vie et le statut des femmes et par conséquent de la population dans sa globalité.
: A quelles conditions le rôle des femmes en vue de l’émergence pourrait-il être optimisé ?
F.S.S : Pour que le PSE soit une véritable opportunité de l’autonomisation des femmes et partant de concrétisation des nombreux engagements du Sénégal dans ce sens, cela commande l’utilisation d’une approche orientée vers le changement des conditions de vie et du statut des femmes dans l’économie et la société sénégalaise. Dans cette vaine, les femmes ne doivent pas être considérées comme un groupe vulnérable mais comme des agents de changement économique et leur permettre d’accéder à toutes les fenêtres d’opportunités offertes par le PSE. C’est pourquoi la dimension genre doit être considérée comme un déterminent de toute l’articulation du PSE.
: Pouvez-vous nous expliquer la place importante que la gouvernance occupe dans le PSE ? Et quel en est l’impact pour les femmes ?
F.S.S : La bonne gouvernance est essentielle, voire indispensable pour atteindre les objectifs de croissance de 7%. Les principes de rigueur de transparence, de responsabilité et de recevabilité déclinés dans le PSE en mettant l’accent sur la lutte contre la corruption, jettent les bases d’une gestion saine et salutaire profitable aux plus pauvres et surtout aux femmes qui en sont les plus affectées. Toutefois nous sommes convaincues que la transformation structurelle de l’économie du Sénégal ne pourra être amorcée sans une transformation sociale, ce qui appelle à une réflexion sur les aspects de la gouvernance sociale pour le changement d’attitudes et de comportements de l’Homo senegalensis.