Toute jeune fille au Sénégal, Lydie Olga Ntap grandissait dans un univers … québécois. De fait, la jeune fille a entamé ses études primaires auprès d’institutrices canadiennes françaises (on disait peu « québécoises » à cette époque pas si lointaine).
« J’ai même commencé à giguer (dans traditionnelle québécoise) en Afrique», affirme-t-elle dans un grand éclat de rire.
Docteur en droit, avocate, la jeune Lydie Olga est confrontée à des réalités diverses de la condition féminine à son arrivée au Canada. En 2008 elle ouvre le Musée de la femme du Québec, inauguré le 29 août 2008 à Longueuil. Ce musée est le premier du genre au Canada et le 8ème au monde. L’interview ci-dessous nous en dit un peu plus sur ce membre de la diaspora qui a su trouver sa voie hors des frontières du pays.
« Je me suis inspirée de ma tante dont j’étais proche, Annette Mbaye d’Enerville qui a fondé le premier musée de la femme au Sénégal et en Afrique. À mon arrivée au Québec, j’ai vécu la violence conjugale et d’autres difficultés en tant que femme immigrante et mère célibataire qui m’ont amené à résider un court moment dans une maison d’hébergement où j’ai été amené à beaucoup réfléchir et lire, notamment sur l’Histoire des femmes. Ce qui m’a poussé à vouloir faire une exposition virtuelle sur ce thème. »
« Je suis allé demander des subventions et on m’a dit que ça prenait un lieu ouvert au public. À ma grande surprise, le succès a été immédiat avec un effet boule de neige grâce au bouche à oreille et une grande couverture médiatique. Ensuite, après avoir fait la Marche mondiale des femmes et observé toute cette énergie positive, cette solidarité, je me suis demandé pourquoi on n’avait pas ça au Québec. J’ai alors commencé à sonder des groupes de femmes dans le but de monter un projet permanent cette fois autour de la question de la femme. Avec tout ce que j’avais vécu et expérimenté, c’est donc naturellement que j’ai pensé au musée de la femme qui a vu le jour en 2008. »
« Au départ, c’était un peu difficile car certains groupes comme la Fédération des femmes du Québec qui ne comprenaient pas vraiment le concept, étaient réticents à me soutenir par crainte que cela n’attire l’hostilité de certains groupes. Beaucoup avaient encore en mémoire l’Affaire de Polytechnique où un jeune avait assassiné avant de se suicider 14 étudiants dont 10 femmes. Mais, ces groupes ont fini par se rallier au projet. »
« Je me suis rendu compte au fil des ans, que le féminisme québécois et occidental d’une manière générale était différent du féminisme africain. J’ai d’ailleurs écrit un article à ce propos pour le journal Le Devoir en 2008. Je venais d’apprendre que la présidente de la fédération des femmes du Sénégal était seconde épouse. J’expliquais alors que cela n’enlevait rien à son combat car je considère qu’il y a plusieurs féminismes et que le nerf de la guerre dans le féminisme, c’est l’autonomie financière. »
« Au Québec par exemple, les femmes n’ont pu véritablement se libérer que quand elles ont été en mesure de pouvoir travailler. Mais souvent, on a l’impression que le féminisme occidental qui est très utile par ailleurs car intergénérationnelle et interculturelle, veut sauver le féminisme africain car il a du mal comprendre que les réalités sont différentes. Dans mon article, j’avais donné l’exemple de cette ONG féministe qui avait aidé à construire un puits au milieu d’un village africain pour éviter aux femmes de marcher durant trois heures pour aller chercher de l’eau. Mais en revenant un an après, elle a constaté que les femmes du village ne semblaient pas heureuses et se montraient froides.
Ces dernières ont fini par expliquer que ces trois heures de marche leur permettait de s’échapper de leur quotidien de femmes au foyer et de mamans, de discuter et échanger entre femmes. Il y avait une solidarité qui s’était créée entre elles. Mais, depuis plus rien car elles n’avaient plus le temps. Ce que je veux dire c’est qu’on ne peut pas tout le temps faire un copié/collé des situations, il faut savoir s’adapter au contexte. En tant que féministe du monde, on doit trouver une façon de se comprendre et s’accepter avec les réalités des unes et des autres et non imposer sa façon de faire ou de voir. Avec ce musée, je pense avoir créé une zone tampon qui me permet de concilier les deux car je baigne dans les deux cultures. Au début de cette aventure, je suis tombée sur une citation d’une Historienne indienne qui disait : « Bien trop de femmes dans bien trop de pays parlent la même langue : le silence ». Ce musée est ainsi fait pour que toutes les femmes quelques soient leurs origines ou leurs existences, cessent de parler « la langue du silence ». Ici, elles peuvent échanger, partager et discuter comme des sœurs. »
Olga a en effet raison, car en sillonnant la mémoire des femmes dans ce musée, tout au long du récit de leurs résistances, de leurs luttes, le visiteur est invité à porter son regard sur lui-même. De l’histoire de la corde à linge au récit criant de la courtepointe, les objets témoins amènent sans cesse un glissement du regard, du collectif vers l’individuel.
Bon vent Olga. Tes sœurs sont fiers de toi !