Le système de santé est malade de ses distorsions qui ont pour noms mal gouvernance pathogène, inefficience des systèmes de contrôle et culte du maquillage. Le rapport de la Cour des comptes a mis l’index sur le détournement d’objectifs qui fragilise la santé des populations sénégalaises.
La Cour des comptes a décelé, dans le rapport qu’elle vient de publier, des manquements dans la gestion du Programme national contre le paludisme (Pnlp), de même que celle du Programme national de lutte contre la tuberculose. C’était dans le cadre d’un contrôle de performance des exercices 2005 à 2010. Un exemple illustratif de pratiques longtemps décriées aussi bien par des partenaires techniques et financiers que par la société civile, avec comme soubassement : la corruption ou le détournement d’objectifs. La cour des comptes a ainsi épinglé le Docteur Moussa Thior et M.Malamine Diédhiou, respectivement coordonnateur et gestionnaire et comptable des matières du Pnlp, lors d’une vérification de performance avec comme ‘’objectif global de déterminer si la mise en œuvre des activités de lutte contre le paludisme déroulées par le PNLP a favorisé l’atteinte des objectifs du programme, de même, si elle s’est faite avec une utilisation rationnelle des ressources disponibles’’.
En remettant en cause l’efficacité du contrôle de qualité interne dans les districts et les hôpitaux et en soulignant le défaut de conception et de mise en œuvre d’un programme, entre autres, le rapport a mis en relief un des facteurs bloquants dans l’atteinte des objectifs de plusieurs programmes de lutte. La Cour des comptes le souligne en ces termes : ‘’Dans l’exécution financière, des virements internes de crédits sont opérés en violation des règles de la comptabilité publique et des ressources issues des prêts détournées de leurs objectifs’’. Il s’y ajoute que ‘’l’existence d’un système d’information adéquat au niveau central est avérée, mais n’est pas complétée par une production de données fiables au niveau opérationnel. L’efficacité du PNLP est largement compromise par une définition peu claire des méthodes de calcul des taux de mortalité et de morbidité, pour apprécier avec plus d’objectivité les performances réelles du Programme’’.
Conséquence : ‘’les objectifs spécifiques du programme, notamment l’objectif sur la prise en charge des cas de paludisme et l’objectif sur le traitement préventif intermittent (TPI) n’ont pas été atteints.’’ L’actuel coordonnateur du programme de lutte contre le paludisme, le Dr Mady Bâ, dit s’inscrire, pour sa part, dans une démarche de rupture, avec une gestion conforme aux exigences de bonne gouvernance. ‘’La transparence est de mise. Le système de santé est le plus audité au Sénégal. Tous les bailleurs disposent de leur système d’audit. Une politique de rupture est opérée dans ce sens, ces dernières années’’. Il se réjouit d’avoir enregistré des avancées notables, grâce au culte de la rigueur.
Pour autant, le rapport de la Cour des comptes arrive aux mêmes conclusions que les rapports publiés ces dernières années sur la gouvernance dans le secteur de la santé. Ils ont mis en lumière une image au rabais d’un système malade de ses pratiques malsaines entretenues par des réseaux souterrains bien structurés qui sucent des milliards de F Cfa au détriment du malade sénégalais, parfois sans éveiller des soupçons.
Les détournements d’objectifs constatés au niveau du Programme national de lutte contre la tuberculose (Pnt) par la Cour des comptes sont tout aussi révélateurs d’un fléau qui infecte le secteur de la santé. Si le rapport 2013 dénonce le fait que « dans les districts de Khombole et de Saint-Louis, les tests de diagnostic rapide (Tdr) mis à la disposition des chargés de traitement pour le dépistage du VIH sont périmés et continuent d’être utilisés’’, c’est parce que l’argent destiné à renouveler le stock est souvent utilisé à d’autres fins. Ce qui remet en cause la fiabilité des résultats ». Il s’y ajoute que l’inefficience du système de contrôle du matériel décontaminé est aussi mise en évidence dans ce rapport qui lève un coin du voile sur les frais de séjour à l’étranger qui violent les normes, avec un lourd préjudice subi par les ‘’tuberculeux’’.
Des pratiques récurrentes exercées par ceux-là qui cherchent à bénéficier des privilèges indus par leurs fonctions. En 2008, le rapport de l’Agence de régulation des marchés publics (Armp) avait épinglé la ministre Awa Ndiaye, pour des détournements de biens publics de 1 338 247 290 F CFA. Des marchés qui ‘’ont été passés et exécutés, sans qu’il ne soit possible de les retracer’’. La ministre a été finalement blanchie au mois de janvier dernier par le Doyen des juges, vu qu’il n’a pas pu établir sa responsabilité dans l’attribution de ces marchés. Une décision qui a été remise en cause par des experts qui jugent qu’un ministre est généralement l’ordonnateur des dépenses.
Explication d’un ancien conseiller d’un ministre de la Santé de l’alternance : ‘’La plupart des ministres ne sont certes pas des ordonnateurs, mais ils donnent des directives. Il arrive souvent qu’un ministre vous dise : j’ai besoin de 10 millions de francs, chaque week-end. Débrouillez-vous pour voir comment le justifier.’’ Dans une logique de complaisance, rares sont les administrateurs ou techniciens comptables qui refusent de s’exécuter, ajoute notre interlocuteur. Ils vont user, pour la plupart, des subtilités de détournement de fonds, bénéficiant en retour de commissions rentières.
Leur modus operandi : ‘’Dans la nomenclature budgétaire d’un ministère ou d’un programme, il y a des rubriques pour la prise en charge d’un groupe d’activités. Pour chaque groupe, il est prévu un montant dans l’exercice budgétaire. En guise d’exemple, si un programme de lutte contre une maladie prévoit un budget affecté à la presse, lors d’un séminaire, quand le ministre ou le coordonnateur exige un détournement d’objectifs, on use de subterfuges pour maquiller ce budget. Il arrive également qu’on détourne un budget pour confectionner par exemple des tee-shirts ou banderoles à l’effigie du ministre pour ses activités politiques à la place de tee-shirts pour le paludisme ou le sida, par exemple. L’appellation est conforme, mais les fonds ont servi à autre chose.’’ Les bailleurs n’y voient le plus souvent que du feu.
Auteur: Matel Bocoum de Enquête.
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