Chères chaînes de télévision sénégalaises,
Aujourd’hui, comme tous mes 14 millions de voisins, j’ai eu une journée épuisante. Une journée qui ressemblait en beaucoup à toutes les autres mais qui m’a quelque peu déconnectée de mon quotidien, tant elle était chargée. Alors, une fois de retour chez moi, je me suis installée dans un bon canapé et j’ai pris ma télécommande. L’écran s’allume et ce soir, comme tous les autres soirs, je me confronte à cette triste évidence : ma télé va mal. Et si elle est malade, c’est sûrement parce que mon pays l’est aussi, vu qu’elle en est son plus fidèle reflet. Alors que je zappais machinalement, les yeux perdus face aux désormais trop nombreuses chaînes, mon esprit errait entre plusieurs réflexions.
J’ai pensé à toutes ces dizaines de milliers d’étudiants de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD), et plus précisément à ceux du Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), ce joyau académique reconnu au niveau international. J’ai pensé à tous ces mordus de journalisme qui, entre deux grèves, rêvent sûrement d’aider leur nation à aller de l’avant et de laisser leur empreinte dans ce noble corps de métier. Je me suis ensuite rendue compte qu’ils auraient à rivaliser avec ces nouveaux habitants peuplant illégitimement mon petit écran ; les animateurs. Et ne me méprenez pas, ces derniers peuvent bel et bien remplir un rôle important, dans des conditions et un cadre précis. Mais que donc penser lorsqu’ils se retrouvent partout, en permanence ?
Hélas, si les images de ma télé sont devenues beaucoup plus nettes, leur contenu n’en demeure pas moins aveuglant d’absurdité. Elle ne m’informe plus, elle me divertit, voire m’abrutit. J’y vois progressivement mes enfants devenir plus enthousiastes à l’idée de participer à des concours de chant plutôt qu’auparavant, à ceux de dictée. J’y vois mes jeunes, pleins de potentiel, aspirer à devenir de grands lutteurs, danseurs ou musiciens et non d’illustres penseurs. Quant à mes aînés, ils prennent trop souvent part à des débats politiques où les vraies questions ne sont pas posées et où les attaques personnelles fusent de tous bords. Mais qui a déréglé ma télé ?
Elle n’était pas parfaite avant, certes. Mais elle était au moins structurée. J’aime à me rappeler de cette belle époque où les pièces de théâtre contribuaient à mon éducation. Elles ont maintenant été remplacées par une multitude de séries, conditionnés par les annonceurs publicitaires, dans lesquelles le m’as-tu vu et les dialogues impertinents sont prépondérants. Et ce soir encore, c’est avec douleur qu’un chiffre me revient à l’esprit. Selon le Ministère de l’Education Nationale, environ 57% de mes voisins sont analphabètes. Quelle douleur que de constater que ma télé, ce médium si puissant en termes d’information, de formation d’opinion, de sensibilisation et d’éducation ne s’implique que trop peu dans l’ouverture d’esprit de tous mes concitoyens. Ne vous offusquez donc pas ! Je sais que ma télé doit aussi proposer des programmes amusants mais est-ce pour autant qu’elle doit arrêter d’enrichir les connaissances du public et de l’interpeller sur les grandes questions locales, régionales et internationales ?
Ma télé est un outil décisif au sein de la société. Mais elle prend une mauvaise pente. En effet, elle se focalise exclusivement sur ce qui attire l’audimat plutôt que sur ce dont il a besoin. Et quand l’espoir me regagne, c’est rapidement avec désarroi que je tombe sur des revues de presse et interviews où le journaliste, tombant fatalement dans le piège, oublie qu’il est sensé me donner les faits, rien que les faits, et non son avis biaisé sur la question. Aussi en deviens-je révoltée quand je sens, moi, simple novice, que certains journalistes semblent ne pas avoir pris le temps de préparer leurs interviews, d’analyser le personnage auquel ils font face et de prendre en considération les nouveaux éléments du sujet qu’ils veulent traiter.
Je suis lasse. Il se fait tard. Bientôt, il sera l’heure d’éteindre ma télé. Les images auront certes défilé mais les esprits, eux, seront restés figés dans l’obscurité. Toutefois, une petite voix me dit que rien n’est jamais tout blanc ni tout noir. La création de programmes en langues nationales et en anglais, le fait de vouloir se rapprocher des citoyens habitant dans les régions les plus reculés de ma terre et la plus grande présence de scénaristes constituent quelques lueurs d’espoir. Sans nul doute, quelque part, dans ma télé, certains acteurs ne comptent pas se laisser envahir par la médiocrité. L’heure est au regain d’un équilibre. Car s’il est vrai que ce soir, Dakar ne dort pas, c’est certainement parce qu’elle est hantée par le bruit assourdissant de son paysage audiovisuel.
Une téléspectatrice inquiète.
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