Le Burkina Faso est en passe de devenir le premier pays de l’Afrique francophone à se doter d’un satellite. Dans cet entretien, le Pr Frédéric Ouattara, lauréat 2018 du prix du meilleur physicien africain de l’espace, initiateur du projet, nous parle de son intérêt pour le Burkina, mais aussi des grandes étapes à franchir pour que Burkina Sat-1 soit sur orbite.
S : Certains estiment que le Burkina est un pays pauvre. Se doter d’un satellite n’est-il pas un luxe ?
F.O. : Ceux qui le disent, méconnaissent l’importance de l’exploration spatiale, parce que beaucoup de choses arrivent sur le sol à partir de l’espace. Et le contrôle de l’espace pour nous va nous permettre de résoudre les problèmes fondamentaux des Burkinabè. Ces problèmes sont, entre autres, la pluviométrie, comment avoir une résilience au changement climatique, aider les populations à avoir les ressources en eau disponibles et permettre aux agro-pasteurs qui sont en transhumance de pouvoir planifier pour avoir la biomasse et les points d’eau.
S : Que répondez-vous à ceux qui pensent le Burkina devrait miser sur d’autres priorités que de se lancer dans la construction d’un satellite.
F.O. : La priorité des Burkinabè, c’est avoir de l’eau potable, se soigner, se nourrir et puis de mieux se porter. Et le satellite pour nous, répond à ces besoins fondamentaux. Donc, ce n’est pas un rêve, c’est une nécessité.
S : Vous êtes maintenant, à une étape importante du projet, c’est-à-dire, la construction du satellite. Concrètement, comment cela va se passer ?
F.O. : Après la réception de la station, nous sommes à la deuxième phase qui est la construction du satellite. La construction veut dire qu’il faut qu’on assemble les différents éléments nécessaires pour obtenir un satellite fonctionnel. Mais aussi de transmettre et de recevoir les données depuis une station au sol. Après cette étape, nous allons aborder la troisième phase qui est le lancement, la mise en orbite et la stabilisation du satellite dans l’espace.
S : Réussir Burkina Sat-1 nécessite beaucoup d’efforts et de technologies. Aviez-vous des collaborations extérieures ?
F.O. : La collaboration extérieure est scientifique. Mais nous travaillons à développer des compétences burkinabè, entièrement tournées vers leur investissement au profit de la nation burkinabè. C’est ce qui est important. C’est un produit essentiellement burkinabè.
S : Souvent les projets sont initiés, mais le principal blocage, c’est le financement. N’avez-vous pas peur que Burkina Sat-1 prenne un coup, faute de ressources financières ?
F.O. : Le 27 août 2020, nous avons lancé la station au sol. J’étais heureux d’avoir vu et lu le post du président du Faso. Parce que pour moi, c’était vraiment une reconnaissance du premier Burkinabè pour ce qui est fait au Burkina Faso. Le 3 septembre 2020, nous avons été reçus en audience. Je suis sorti heureux de cette audience. Le président du Faso a montré qu’il était d’accord pour nous accompagner sur tous les plans afin que le projet soit un succès. Il s’est engagé à accompagner le projet jusqu’au bout. Sur ce plan, il n’y a pas d’inquiétudes pour nous.
S : Envisagez-vous déjà des collaborations avec les pays voisins pour des échanges de données de Burkina Sat-1 ?
F.O. : Oui. Mais il faut des collaborations exprimées à travers des contrats de coopération avec les pays et les chercheurs des différents pays. Les données spatiales peuvent être utilisées par tous les pays, pour peu qu’il y ait une collaboration scientifique entre Etats.
S : Depuis la réception de votre prix de meilleur physicien africain de l’espace, avez-vous été sollicité par d’autres pays pour réaliser un tel projet ?
F.O. : Nous avons essayé avec d’autres collègues de créer un consortium qui a pour objectif de mettre en place une constellation de satellites par des coopérations entre les Etats voisins. Ce processus est en cours.
S : Certains estiment qu’avec vos compétences, vous auriez pu intégrer la NASA par exemple pour apporter votre expertise à la science mondiale. Partagez-vous cet avis ?
F.O. : Non. Si tout le monde va dehors, qui va développer en interne le pays ? Ce qui est important, c’est que les compétences burkinabè sont à la fois internes et externes (la diaspora). Il y a donc des gens qui doivent rester dans le pays pour aider les autres à se développer. C’est en ce sens qu’il faut remercier et apprécier à sa juste valeur tous ceux qui ont accepté de rentrer pour former les autres. C’est notre vision. Dans ce choix de développement, on ne ferme pas la porte à la diaspora. Il faut l’ouvrir parce qu’ils ont des compétences qu’ils peuvent mettre à notre disposition.
S : Quand est-ce que Burkina Sat-1 sera dans l’espace ?
F.O. : Le lancement qui est la dernière phase ne dépend pas uniquement de nous Burkinabè mais est lié à plusieurs raisons. Il y a la coopération inter-pays. Il y a aussi les conditions météorologiques du lancement et le calendrier de ceux qui se portent volontaires pour nous aider à lancer le satellite. A ce niveau, nous ne maîtrisons pas le timing. Mais, nous collaborons afin que le temps soit au maximum réduit.
S : Quel message avez-vous à l’endroit des Burkinabè qui vous suivent et partagent votre rêve de voir le Burkina dans l’espace ?
F.O. : Je dis merci au professeur Alkassoum Maïga, ministre en charge de la recherche, qui a cru au projet, permis son démarrage et l’a porté au Président du Faso. Je suis reconnaissant à tous ceux qui ont cru à ce projet et l’accompagnent. Je remercie tous les burkinabè qui se sont donné la peine de poster des messages.
source : sidwaya