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La pléthore de jours fériés au Sénégal : quel impact sur l’économie ?

Avec 14 jours fériés officiellement recensés par an, en plus des 52 samedis et dimanches, le Sénégal est peut-être un des cinq pays au monde les plus en vacances. Le constat est unanime : l’attitude désinvolte du sénégalais avec le travail est inversement proportionnelle à son attachement viscéral aux « engagements », familiaux et confessionnels.

Beaucoup s’insurgent contre cette course vers le « non travail » et donc vers la « non production/productivité ».  Et aucun gouvernement n’a, à ce jour, osé poser la problématique du nombre pléthorique de jours fériés, chômés et payés et surtout son corollaire de jours non fériés mais chômés et payés qui les accompagnent. Notre administration et le secteur privé, peuvent –ils sortir indemnes d’autant de farniente ? La question mérite d’être posée.

Le travail est une valeur cardinale dans les religions dont nous nous réclamons et à ce titre, le Sénégal pourrait, au regard de sa réalité sociologique, repenser la répartition des jours fériés.

Toutes les commémorations possibles au nom de la République ou de la religion.

«Il faut rationaliser le nombre de jours fériés», n’ont de cesse de dire Baïdy Agne, Mansour Kama et les autres patrons du secteur privé sénégalais, pourfendant les décisions péremptoires des autorités décrétant certains jours comme le magal, fériés au mépris de la productivité du travail.

Pourtant le débat pourrait être posé sans passion. Tout le monde sait qu’au moins, le jour précédant la Tabaski et celui d’après ne sont pas travaillés pour une écrasante majorité de salariés. Idem pour les pèlerins de Touba, lors du Magal, et autres multiples célébrations commémoratives.

Egalement, par souci de ne pas heurter la communauté chrétienne, les différents régimes se sont contentés de maintenir le statu quo. Qui oserait dire qu’on pourrait travailler un jour, à choisir entre ascension, assomption ou Pentecôte?

Un  problème encore plus sérieux est celui des jours non fériés indument pris et qui sont de facto chômés et payés (du moins dans l’administration).

Une enquête réalisée en juillet 2012 par Dr Serigne Moustapha Sène, de la Direction de la prévision et des études économiques (Dpee), relatives aux effets des jours fériés sur la production industrielle et l’activité globale au Sénégal de 1980 à 2010, révèle que les pertes dues à ces jours «chômés et payés» représentent 2,6% de la production et 0,01% sur la croissance économique du Sénégal.

« Ce nombre relativement élevé impacte directement sur l’économie sénégalaise. En 30 ans, le Produit intérieur brut (Pib) du Sénégal a progressé de 13% contre 112% pour la Tunisie. »

L’étude a montré  aussi que «43,8% des Sénégalais sont favorables au nombre présentement convenu des jours fériés, 31,3% pensent que le nombre est élevé et 62,5% trouvent normaux les fériés des lendemains de fête religieuse».  Cela montre qu’il y a un énorme travail de sensibilisation à effectuer.

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Des effets contrastés suivant les secteurs

L’administration centrale ainsi que la majorité des activités économiques du pays étant concentrées à Dakar, pour des raisons pratiques, notamment les problèmes de transport, beaucoup de travailleurs migrants internes ne peuvent pas rejoindre la capitale juste après le jour même de la fête. S’il s’agit d’une grande fête religieuse coïncidant, par exemple, avec le jeudi, certains travailleurs prolongent le repos jusqu’à la fin de la semaine : c’est un effet « pont » ; Au-delà de ces raisons objectives, les pertes d’heures de travail occasionnées par ces jours fériés procèdent d’habitudes largement encrées chez des travailleurs. Dans l’industrie, la perte de production est de 2,6% par an. Ainsi, l’argument du manque à gagner s’analyse aussi en termes de baisse de la productivité. Malheureusement, moins d’une entreprise industrielle sur trois dispose d’un dispositif ad hoc (heures supplémentaires pour respecter les objectifs de production, remplacement des travailleurs permanents par des temporaires etc.) ; dans les services, ce ratio est de 29,4%.

S’agissant de l’estimation des effets à l’échelle macroéconomique, il est évident en ce sens que la célébration de fêtes religieuses est souvent l’occasion d’une hausse significative des dépenses de consommation des ménages. Les grandes fêtes religieuses ont donc des effets dynamisants dans les activités telles que le commerce, les transports et les télécommunications ainsi que sur l’activité du secteur informel d’une manière générale.

Par ailleurs, en considérant l’ensemble de l’économie, la perte due aux jours fériés est très faible (0.01 point de croissance par an). Cette meilleure maîtrise est expliquée par la part relativement faible de l’industrie dans l’économie (près de 20%) alors que dans le secteur tertiaire, plusieurs sous-secteurs profitent des jours fériés. De même, dans le secteur primaire, la production est plus dépendante des conditions climatiques que des jours ouvrables. Quant à l’estimation d’un seuil critique de jours fériés, le modèle à effets de seuil montre l’existence d’un impact négatif significatif sur l’output gap au-delà de 13 jours fériés.

Analyser les paramètres de la faiblesse de la productivité du travail au Sénégal.

Toutefois, il est nécessaire d’aller au-delà des jours fériés pour analyser en profondeur la faiblesse de la productivité du travail au Sénégal.

Le coût du travail et la productivité par heure travaillée ne sont qu’un des éléments de la compétitivité. Les facteurs de différenciation sont donc en grande partie ailleurs.

  • Une approche sectorielle pour analyser les spécificités des différentes activités ;
  • le traitement des impacts budgétaires des jours fériés ;
  • l’assouplissement de la législation du travail pour permettre aux entreprises de choisir des mécanismes souples de compensation des pertes d’heures de travail ;
  • la nécessité pour les entreprises de s’inspirer des meilleures pratiques en matière d’adaptation de la production aux jours non ouvrables.

Il faudra entre autres facteurs de croissance citer : la capacité d’innovation en matière de produits/services, la qualité des produits et du SAV, la réputation des entreprises, la capacité des entreprises à exporter, le poids des règlementations et formalités au Sénégal, la facilité de recrutement de personnels bien formés et adaptables, la capacité des banques à prendre des risques en matière de crédit-entreprise, la qualité et l’efficacité du marketing, etc …

Bref, ramener notre problème à la seule «  perte de productivité » est une grave erreur qui risque de non seulement dégrader les rapports sociaux mais aussi de conduire le pays à son affaiblissement. Il faudra aussi peut-être un jour que les décideurs politiques aient le courage de discuter avec toutes les parties prenantes, y compris le clergé et les familles religieuses, de la nécessité de contextualiser les fêtes au Sénégal.

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