Entre fin de parcours et rebond pour le futur
Par Magatte Cissé
Après presque trois ans de marathon judiciaire, le procès le plus médiatique de l’histoire du Sénégal a pris fin ce lundi 23 mars 2015. C’est dans une salle 4 bondée du Palais de justice Lat Dior, que le Tribunal de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) a prononcé le verdict condamnant Karim Meïssa Wade à 6 ans de prison ferme et à 139 milliards de francs Cfa d’amende. Le fils de l’ancien président de la république a également été délesté de la totalité des biens physiques et monétaires qui sont présumés lui appartenir et qui ont été identifiés comme tels par les enquêteurs, au Sénégal et à l’étranger. Ce sont des comptes bancaires au Sénégal, en France, à Monaco ; des véhicules dont certains de luxe, des maisons et terrains ; les entreprises de presse AN Média et CD Média, les sociétés AHS SA et ABS, qui tombent tous dans le patrimoine de l’Etat du Sénégal.
Toutefois, le tribunal de la Crei a laissé à l’ex-prévenu devenu condamné, la propriété des bijoux de sa défunte épouse, Karine Marteau, et deux terrains localisés à Touba et Kébémer. Aspect politique important au regard de son statut de « candidat » déclaré du Parti démocratique sénégalais (PDS) investi deux jours plus tôt, Karim Wade n’a pas été déchu de ses droits civiques et politiques, ce qui lui aurait fermé, de jure, les portes de l’élection présidentielle de février-mars 2017.
Singapour, un point d’honneur
Comme une sorte de point d’honneur à son endroit, Karim Wade peut se targuer d’avoir été blanchi sur deux points essentiels. D’une part, il a été lavé de tout acte de corruption ; et d’autre part, le tribunal n’a pas tenu compte, fautes d’éléments probants, des « 47 milliards de francs Cfa » du fameux compte de Singapour que l’expert pape Alboury Ndao disait avoir identifiés comme faisant partie du patrimoine de l’ancien ministre d’Etat.
Présentés comme les complices actifs de Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil Bourgi dit Bibo, Pape Mamadou Pouye, Alioune Samba Diassé ont écopé de 5 ans de prison ferme et des amendes respectives de 139 milliards, 69 milliards et 169 milliards de francs Cfa, en plus de la confiscation de tous leurs biens.
Globalement feutrée et calme, l’audience ultime d’un dossier qui a tenu en haleine les médias et une bonne partie de l’opinion publique sénégalaise a basculé dans le brouhaha à l’énoncé du verdict lu par le président Henri Grégoire Diop. Mécontents, les partisans de Karim Wade et militants du Parti démocratique sénégalais ont conspué la cour, traitant ses membres de tous les noms d’oiseaux qui leur venaient à l’esprit, sous la surveillance passive des nombreux gendarmes postés aux différents endroits de la grande salle.
C’est lorsqu’un petit peu de calme est revenu que le maître des lieux a pu poursuivre et terminer la lecture du prononcé. C’est dans le hall du palais que les « karimistes » dont les plus visibles étaient des femmes de tous âges, et les militants libéraux ont continué à dénoncer « la mascarade » judiciaire dont Karim Wade a été la victime, selon eux.
« De la mascarade »
Présent au tribunal durant une bonne partie de la matinée, l’ancien président de la république, Abdoulaye Wade, a quitté les lieux sans aucune déclaration. Il avait pourtant promis de commenter le verdict de la cour sur place. Quelques jours auparavant, il avait appelé ses militants au calme et à l’apaisement après le prononcé du délibéré. De retour dans ses locaux de Fann Résidence, il leur a donné rendez-vous vendredi après-midi à la place de l’obélisque.
Immédiatement après le verdict, les avocats de Karim Wade ont tenu une conférence de presse pour dévoiler une partie de leur agenda. Ainsi, le dépôt d’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême en sera la première étape, ont-ils indiqué. Etant donné le caractère exceptionnel des mécanismes de la Cour de répression de l’enrichissement illicite, ce pourvoi n’est pas destiné à revenir sur les faits déjà jugés pat la Crei ; il portera uniquement sur le respect des procédures de l’instruction.
Selon Me Seydou Diagne, « le juge (Henri Grégoire Diop, ndlr) n’a pas eu le courage de dire non à l’Etat du Sénégal. » C’est pour cela que « le combat va se poursuivre parce qu’aucune preuve n’est apportée sur la nouvelle accusation de 69 milliards de francs Cfa. »
Me El Hadj Diouf : « Lui seul pouvait apporter les preuves de son innocence »
En aparté avec les journalistes en dehors du palais Lat Dior, Me El Hadj Diouf, un des avocats de la partie civile, a déclaré que Karim Wade « lui seul aurait pu donner les preuves de son patrimoine licite », mais « qui ne dit mot consent. » Pour sa part, le garde des Sceaux, ministre de la Justice a indiqué, au cours d’une conférence de presse tenue en début de soirée, que « le droit a été dit » par le tribunal de la Crei. Me Sidiki Kaba, comme pour rassurer l’opinion publique sur le caractère non sélectif des activités de la Crei, a affirmé que les poursuites entamées contre les auteurs de transgressions financières des biens publics ne s’arrêteront pas avec la condamnation de Karim Wade. La suite arrive, c’est pour bientôt, a-t-il promis, car le fils Wade « ne sera pas le dernier ».
Emprisonné depuis le 18 avril 2013 à l’issue des premiers interrogatoires et mises en demeure relatif à son patrimoine, Karim Meïssa Wade devrait encore rester 4 années supplémentaires à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss. Candidat déclaré du Parti démocratique sénégalais à la présidentielle de 2017, l’ancien ministre d’Etat préférerait sans doute purger une peine qui finirait en avril 2019. Il aurait alors un peu moins de 51 ans, à trois ans d’une autre présidentielle à laquelle l’actuel président de la république ne pourra pas se présenter en vertu de la limitation des mandats présidentiels à deux. Que fera alors Karim Wade ? Sera-t-il d’ailleurs encore sur le terrain politique ?
Autant de questions qui taraudent l’esprit des militants libéraux et sur lesquels le premier d’entre eux, Me Wade, ne manquera pas de réfléchir.
Crédit photo: Dakar echo