Dans le landerneau politique sénégalais préélectoral de 2012, il nous est apparu soudainement une jeune dame au visage d’ange, mais «qui a la bouche !», comme disent nos parents ivoiriens. Une jeune femme qui a fait son apparition sur les plateaux télé, dans les manifestations de rue et qu’on entendait de plus en plus sur les ondes des radios FM être la plus virulente contre le régime du président Wade. On l’avait compris : une nouvelle actrice politique venait de naître, en la personne de Zahra Iyane Thiam.
La quarantaine rayonnante, la secrétaire générale de l’Union pour le développement du Sénégal/Innovation (UDS/I), plus jeune chef de parti à l’époque, a ce qu’on peut appeler une tête bien faite et bien pleine.
En 2008, pour justifier son engagement politique, la presse la présentait ainsi : «Mariée et mère de deux enfants (un garçon et une fille), Zahra Iyane Thiam a une expérience dans le milieu associatif ; elle a siégé au Conseil national de la jeunesse et a eu à représenter la jeunesse sénégalaise au Burkina et au Cap-Vert. Ayant passé son enfance à voyager – son père est un diplomate à la retraite – elle a fait ses humanités entre le Maroc, l’Egypte et le Sénégal. Elle a également vécu aux Etats-Unis durant sept ans, avant de revenir s’installer au Sénégal. Elle y gère une structure spécialisée dans la maintenance et dans l’installation réseau. Elle suit, par ailleurs, des cours en Licence professionnelle (gestion des projets) à l’Ecole nationale d’économie appliquée.»
Son engagement en politique date, en réalité, de 2006, mais elle a formé son parti en 2008. Avec sa formation politique, elle intègre tous les mouvements et coalitions qui se sont battus pour faire partir Me Wade du pouvoir en 2012 : Benno Siggil Senegaal, les Assises nationales, le mouvement M23 et Macky 2012. C’est pour cela qu’au lendemain de la victoire, le président élu Macky Sall l’a nommée conseillère spéciale dans son cabinet.
Optimiste et ambitieuse, voilà comment elle déclinait son poste aux journalistes : «La fonction de conseiller spécial, c’est participer à l’orientation et à la vision du chef de l’Etat. C’est une fonction de conseils, d’alertes, d’anticipation et d’écoutes. Nous nous considérons comme les yeux du président, les oreilles, les pieds ou la main. Partout où lui ne peut pas accéder, nous nous devons d’y être, de voir les difficultés des populations pour l’alerter sur certains sujets. Mais le plus important, c’est de lui être loyal, non seulement envers lui, mais envers les populations qui ont placé leur confiance en lui et qui lui ont donné un pouvoir de décision et d’action. Ce pouvoir tourne autour de la satisfaction de leurs besoins et des questions sociales, donc des problèmes qui les interpellent au quotidien. A ses côtés, nous nous devons de tout mettre en œuvre pour que les engagements soient exécutés, même si ce n’est pas à cent pour cent, qu’on puisse percevoir des signaux favorables à hauteur d’un pourcentage raisonnable.»
Trois années sont passées. A la lecture de ses dires, on se demande si Zahra est bien dans son fauteuil de conseillère. Qui conseille-t-elle ? Où ? Quand et comment ? Lui donne-t-on une marge de manœuvre pour «être les oreilles et les yeux du président ?»
Ce que l’on constate, au contraire, c’est que cette femme valable, qui a des choses à dire et à faire valoir, se fait «bouffer» un peu plus de jour en jour, recluse dans son bureau de la présidence, par la grosse machine politicienne de l’APR.
Courageuse, elle est partie aux élections locales seule avec son parti pour jauger son degré de pénétration dans les cercles des collectivités locales. Pour un résultat pas fameux, mais respectable, quand on sait qu’elle est représentée dans onze régions et que les autres partis politiques y sont tous allés en colonie derrière les grands partis traditionnels.
Quand on regarde et qu’on écoute ses sorties télévisées, où elle explique et défend calmement et clairement la vision du chef de l’état, le PSE en tant que programme de développement inclusif à l’horizon 2035 et les ambitions de son patron mieux que les ténors qui occupent la place publique – souvent pour ne rien dire – on se demande comment un tel talent peut être négligé au fil des ans, sans que le président ne cherche à en tirer profit. Pourquoi ne pas lui donner un ministère de souveraineté ?
On a entendu Zahra sur le ministère de la Femme, par exemple, changer de paradigme : «Pour moi, il ne sert à rien de conserver un ministère dédié à la Femme, si l’on sait que la femme est transversale. On retrouve les femmes au niveau de tous les ministères. Si nous avons un ministère uniquement de la Femme, tourné vers une orientation politique politisée, cela pose problème», a-t-elle martelé.
Elle a été aussi la première à assumer le bilan mitigé, à mi-parcours, du régime du président Sall, en appelant tous les coalisés à prendre leur responsabilité et en soulignant tout de même qu’on est loin du compte, en ce qui concerne les promesses électorales de 500 mille emplois pour les jeunes, etc.
Elle se permet de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Car Zahra est lucide et consciente que le peuple n’est plus dupe. «Il est même devenu plus exigeant», constate-t-elle, en donnant l’exemple de la Tunisie et du Burkina Faso.
Sa franchise et son refus de la langue de bois font de Zahra Iyane Thiam une candidate prisée de la presse sénégalaise.
Mais depuis que son parti et elle ont décidé de faire de Macky Sall leur candidat à la présidentielle de 2017, on sent la dame plus prudente. En réaction au quiproquo qui règne dans leur mouvance présidentielle, dû aux positionnements du Parti socialiste et aux louvoiements de Niasse à l’AFP, elle appelle de façon intelligente à différer les affrontements inévitables.
A la suite de la dernière tournée du président Macky Sall dans la vallée du fleuve Sénégal, Zahra répondait aux journalistes ainsi : «Aujourd’hui, les gens disent qu’en 2017, il faut que nous ayons un seul candidat. Mais ça, ce n’est pas le moment. Ce qui est important, par contre, c’est le respect des engagements qu’on avait tenus. La question de la candidature, présentement, peut être considérée comme subsidiaire. Donc, pour l’heure, ce qui nous intéresse, au sortir de la tournée économique du président, c’est qu’on se mette au travail. Les acteurs que sont les producteurs, les transformateurs, les mareyeurs et les commerçants ont tenu des discussions sérieuses et de façon directe avec le chef de l’Etat. Sans intermédiaire. Pour lui faire part de leurs difficultés, de leurs conditions de travail, et c’est là le plus important, de donner l’appréciation des relais qui sont sur le terrain.»
Ainsi, on voit bien que Zahra Iyane Thiam n’est pas une actrice de la politique politicienne. Elle milite pour élever le débat et aller en profondeur vers les aspirations des populations.
Alors, doit-on la laisser seule se débattre dans cette mare boueuse avec le peu d’armes qu’elle a à sa disposition, face à la machine broyeuse d’individualités qu’est le parti-Etat ? Les femmes de ce pays ne doivent-elles pas soutenir une des leurs, en voyant qu’il lui sera de plus en plus difficile de garder son leadership et son engagement total, si elle est livrée à elle-même ?
A mon avis, il faut se tenir vigilant à côté de cette femme, car il urge de sauver le soldat Zahra !
Une femme dynamique, courageuse, pleine de volonté. Je suis avec elle