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Histoire du Sénégal : le 22 mars 1967 Moustapha Lo tirait sur Senghor…

C’était le jour de la fête de Tabaski ou Eid El Kebir. La cérémonie officielle se déroulait sur l’esplanade de la grande mosquée de Dakar. Une tribune était dressée en l’honneur des plus hautes autorités du pays, ainsi que des chefs de mission diplomatiques accrédités au Sénégal. À la fin de la prière, alors que le Président Senghor avait quitté la tribune et s’apprêtait à monter dans sa voiture décapotable, un homme s’élance vers lui, le pistolet au poing.

Moustapha Lô appuie sur la gâchette d’un pistolet MAC de 9 mm sur le président de la République du Sénégal, et, selon les témoignages, comme ceux qui sont rapportés par Abdoul Baïla Wane, ancien directeur-adjoint de cabinet de Senghor, « on entendit par deux fois le déclic, mais le pistolet s’était enrayé. Un cri de frayeur s’éleva de la foule médusée. L’homme fut maîtrisé sur le champ, jeté dans une fourgonnette et conduit au commissariat Central ». Qui était-ce ? Il s’agissait de Moustapha Lô, membre d’une grande famille religieuse, et cousin de Cheikh Tidiane Sy, actuel Khalife Général des Tidjanes, alors mis en prison par Senghor. Une enquête est alors ouverte pour savoir si ce jeune, aussi « courageux », n’avait pas été payé pour abattre le Président Senghor. La machine judiciaire, mise en marche, avait arrêté plusieurs personnalités soupçonnées à tord ou à raison d’être complice de Moustapha Lô. L’unique question que se posaient les dignitaires du pouvoir était : «pour le compte de qui travaille-t-il, au point de vouloir assassiner le Président Senghor ? ». Mais, celle qui grattait la cervelle du peuple, de manière générale, était plutôt : « est-ce que Moustapha Lô voulait vraiment tuer Senghor ? ».

Devant la barre, l’accusé avait répondu à la seconde interrogation. Il avait soutenu devant les juges, les dignitaires du pouvoir et le peuple : « non ! ». Et de renchérir : « je n’avais pas l’intention de tuer Senghor. Je connais parfaitement le maniement de l’arme. Je voulais lui prouver que malgré ses gorilles, il n’était pas à l’abri de la vindicte populaire. Je voulais simplement lui donner un avertissement pour lui faire changer de politique». Et, selon toujours Abdoul Baïla Wane, «rien dans son comportement, en prison, ne laissait voir en lui quelqu’un qui avait failli à sa mission,  il n’avait ni regret, ni déception». Mais, pour Senghor, les choses étaient claires, car disait-il, « on ne fait pas de la politique avec un cœur de jeune fille ».

Ce qui se justifie par le refus de Senghor, d’accorder la grâce présidentielle à Moustapha Lô, malgré l’intervention musclée des chefs religieux de l’époque. Il fut reconnu coupable de tentative d’assassinat contre le Président du Sénégal. Le 15 juin 1967, devant le peloton d’exécution, le jeune Moustapha Lô, rapporte encore Abdoul Baïla Wane, fit preuve d’une sérénité et d’un courage peu communs. Après avoir prié deux rakkats, il s’était adressé à l’un de ses juges en ces termes : « je ne sais pas ce qui t’attend, toi, mais moi je meurs la conscience tranquille, en martyr ». Les regrets de Senghor Sur les ondes de Radio France Internationale, le Président Léopold Sédar Senghor avait fait des révélations de taille au lendemain de l’exécution de Moustapha Lô. Le premier Président, de la jeune République indépendante du Sénégal, de laisser parler sa conscience : «pendant trois jours, j’ai eu des cauchemars terribles. Il ne s’agit pas de juger selon le point de vue de Dieu. Dieu seul peut juger dans l’absolu. Mais, la peine capitale a encore un effet de dissuasion dans la société sénégalaise (…) »

TEMOIGNAGES INEDITS DE LA FAMILLE DE MOUSTAPHA LO

«Les jours précédant l’attentat, Papa avait l’air pensif, et le jour-J, il est longuement resté sur sa natte de prière», se remémore sa fille Zeinabou Lô, âgée de six ans à l’époque. Lorsqu’il est sorti de sa maison pour se diriger vers la Grande mosquée de Dakar, sa famille ne se doutait certainement pas de la manière dont leur fête de Tabaski allait se passer.

La nouvelle de l’attentat se répand juste après la prière. Mais c’est bien plus tard que la famille Lô apprendra ce qui s’est passé. «Nous étions perchés sur le balcon. Ce sont les sirènes et gyrophares de la police qui nous ont alertés, raconte sa fille aînée, Oumou Kalsoum Lô. Papa est revenu sous une fonte escorte. Il avait les pieds nus et les mains ligotées.» Oumou Kalsoum avait sept ans à ce moment, mais se rappelle encore du mauvais film du jour : «Ils (les policiers) ont saccagé notre demeure et ont malmené notre femme de ménage qui était sous la douche.» L’épouse de Moustapha Lô, Fatou Sarr, qui avait accouché d’une fille la veille, n’en revient toujours pas, des décennies  après. «Je n’ai jamais compris son acte, puisqu’à la maison, il ne tuait jamais les moutons. D’ailleurs, je me suis chargée de trouver un boucher la veille, avant d’aller accoucher à la clinique.»

Moustapha Lô, né en 1926 à Kaolack, est en effet décrit comme une personne courtoise et correcte, doublé d’une forte assise intellectuelle. «Il n’avait pas de problèmes, il n’était pas capable de tuer une mouche. C’est la raison pour laquelle j’ai eu du mal à admettre cette histoire», soutient sa veuve Fatou Sarr, âgée de 27 ans au moment des faits.

Après son arrestation, Moustapha Lô, arabisant autodidacte et ancien secrétaire particulier à l’ambassade du Sénégal en Egypte, est transféré au Camp pénal de Liberté V. Ce n’est que quelques jours plus tard que sa famille obtient le droit de visite. «On n’y est allé qu’une seule fois, j’étais avec Zeïnabou et mon frère Abdoul Aziz, confie Oumou Kalsoum. Il avait la tête basse ce jour-là.»

Moustapha Lô condamné à mort, sa famille a tenté d’obtenir une grâce présidentielle. Les guides religieux aussi s’y sont mis. Thierno Seydou Nourou Tall, Serigne Abdoul Aziz Sy, l’Archevêque de Dakar Hyacinthe Thiandoum tentent de convaincre le Président Senghor, mais en vain. Soupçonnant un coup du camp de Mamadou Dia, Sénghor dira que s’il lui pardonne, un autre pourrait réessayer. Son épouse Fatou Sarr reste, malgré tout, optimiste. «J’ai toujours pensé qu’il (Senghor) n’allait pas le faire. La veille de son exécution, son oncle est venu me prévenir, mais je n’y avais pas cru. Je me suis résignée le lendemain, lorsqu’il a ramené les affaires de mon mari.»

A 41 ans, Moustapha Lô est exécuté le 27 juin 1967, vers minuit, dans les champs de tirs situés derrière la Cour suprême sur la corniche ouest. Il repose au cimetière des Abattoirs, près du village artisanal de Soumbédioune. Ses complices ont écopé de peines diverses : Moustapha Dramé (prison à perpétuité) ; Doudou Ndiaye (10 ans et 150 000 FCfa d’amende) ; Momar Mbaye (5 ans de prison et 100 000 FCfa d’amende). Les trois autres prévenus, Magoum Ndiaye, Moustapha Diouf et Meissa Seck, ont été acquittés. Presqu’un demi-siècle après, la famille Lô ne réclame ni « réparation » ni « réhabilitation » « Des gens nous demandent de tenter une action pour le réhabiliter, renseigne sa fille Zeinabou. Nous ne ferons rien, Dieu s’en chargera. Autant notre père n’avait pas le droit d’attenter à la vie de Senghor, autant il n’aurait pas dû être exécuté. Sa peine est de loin supérieure à son acte. »

Extraits de L’Office et Xibar.net

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