Nous parlerons d’abord d’Alain Gomis qui a remporté samedi l’Etalon d’or du 25e Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), pour la deuxième fois, avant de revenir dans nos prochains articles sur les deux autres prix et leurs auteurs.
Le long-métrage d’Alain Gomis, qui avait déjà été récompensé en 2013 avec « Tey », raconte la difficile vie d’une chanteuse de bar à Kinshasa. Il a obtenu il y a deux semaines le Grand prix du jury de la Berlinale. Cette consécration est donc aussi une validation du savoir-faire sénégalais.
La première séquence du film nous entraîne dans le tourbillon d’images toujours imprévisibles qui va suivre : un plan serré sur le visage d’une femme nous accueille, et quelle femme ! « Belle comme les feuilles des ronces », Félicité est la reine dans ce bar rempli d’hommes bourrés, de dragueurs et de paumés. La caméra d’Alain Gomis nous plonge magistralement dans la nuit de Kinshasa, cette ville de folies et de forces incroyables. On se retrouve en immersion dans cet univers où Félicité lutte pour sa survie. D’ailleurs, c’est ce qu’elle a toujours fait. Déclarée morte à l’âge de deux ans, elle s’est réveillée dans le cercueil. Depuis, elle porte le prénom Félicité, « notre joie ».
Aujourd’hui, pour assurer sa survie, Félicité chante dans ce bar et reçoit en retour des billets collés sur son front par les clients. Un jour, même ces certitudes fragiles s’écroulent quand son fils est blessé gravement dans un accident de moto. Pour sauver son enfant, Félicité est prête à tout et saura sur qui compter. Elle, qui se prenait toujours pour une femme forte en droit de donner des leçons à tout le monde, apprend à mettre sa fierté de côté, à demander de l’aide et à accepter de l’amour : né alors une mère courage africaine des temps modernes.
Bien dopé par les musiques et les mouvements, le récit trouve son rythme. Tout semble saturé : l’agitation des gens, les couleurs à l’écran, les bruits dans nos oreilles, les superpositions d’images, les scènes féériques et les silhouettes nocturnes, les contre-jours. Tout, ensemble, compose une symphonie urbaine et humaine merveilleuse où se croisent le meilleur et le pire !
Le film a tenu toutes ses promesses, mais il n’y avait rien à faire. Mercredi soir 1er mars, au cinéma Burkina, le public a une seule fois vivement réagi : quand l’amoureux lourdaud-poétique de Félicité réussit enfin à réparer le frigo maudit. Bien sûr, le bonheur reste de courte durée. La prochaine pièce détachée tombe en panne et la vie imprévisible de Kinshasa reprend ses droits.
40 jeunes filles burkinabè habillées dans des robes Fespaco ont formé une haie d’honneur pour faire défiler le prestigieux trophée de l’Étalon d’or de Yennenga en direction podium. Puis, sous la protection de la garde d’honneur avec leurs sabres et costumes rouges, le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et le président ivoirien Alassane Ouattara se sont mis en marche ensemble pour remettre le prix au lauréat.
« C’est un grand honneur de recevoir ce grand prix pour la deuxième fois », déclare un Alain Gomis modeste dans ses propos, mais visiblement conscient du moment historique qu’il est en train de vivre, quelques semaines après avoir remporté le Grand Prix du jury à la Berlinale. Avec Félicité, il a réussi l’exploit de créer à la fois une femme-courage africaine et l’esquisse d’un homme moderne dans le cinéma africain. À l’âge de 44 ans, et quatre ans après son triomphe avec Tey, le réalisateur franco-sénégalais entre aujourd’hui dans l’histoire du festival panafricain. Avant lui, seulement Souleymane Cissé (avec Baara en 1979 et Finyè en 1983) avait réussi à remporter deux fois l’Étalon d’or de Yennenga.
Son prix, Alain Gomis l’a dédié « à la jeunesse et aux jeunes réalisateurs et aux jeunes réalisatrices ». Né en 1972, à Paris, d’un père sénégalais et d’une mère française, la première réaction après avoir reçu son deuxième Étalon d’or, apparaît quand même étonnant pour un réalisateur qui fêtera lundi son 45e anniversaire : « Je pense aux jeunes surtout. Mon rôle est maintenant de tendre la main et de créer des ponts et de travailler avec la nouvelle génération. »
Son message est clair : « Aujourd’hui, le cinéma est de plus en plus en danger… On parle de moins en moins de culture et de plus en plus de commerce », fustigeant ainsi l’arrivée de « grands opérateurs qui, à la fois nous aident, mais, en même temps, représente aussi un danger, et il faut lutter pour nos indépendances. »
Dans cette édition 2017 du Fespaco, les femmes ne sont pas en reste. Comment être une femme moderne ? Pas moins de quatre films, en compétition, posent la question. Et souvent le prix à payer est très cher.
Frontières, d’Apolline Traoré, suit le périple de deux commerçantes sur la route de Dakar à Lagos, deux femmes en butte à l’arbitraire et la violence des policiers et des douaniers. « C’est cette indépendance de ces femmes que j’ai admirée grandement et elles continuent. Pourquoi ? Parce que vous imaginez pourquoi les hommes ne font pas vraiment ce commerce-là, parce que le résultat est très minime. Mais elles, elles le font. Ce sont des commerçantes. Il y en a certaines qui arrivent à bien s’en sortir. Pour certaines, la marge est très minime, mais elles veulent garder cette indépendance », insiste Apolline Traoré.
C’est ce film de la burkinabè Apolline Traoré qui a remporté l’étalon d’argent. Le prix est doté d’une somme de 10.000.000 de francs. Les femmes sont à encourager car à chaque FESPACO elles présentent des œuvres remarquables. Alors le prochain étalon d’or pour une femme ? Ce ne serait que justice !