En ce moment, on la voit sur toutes les chaînes de tv françaises et on l’entend sur toutes les ondes. Elle, c’est Fatou Diome, la femme de lettre sénégalaise qui vit en France depuis plus de vingt ans. On l’entend parce qu’encore une fois des immigrés clandestins sont morts en mer en tentant de rejoindre l’Europe. Le drame de l’immigration clandestine ! Mais Fatou ne s’exprime pas pour stigmatiser les immigrants, mais pour expliquer le pourquoi du comment! C’est sa bataille depuis 1994 quand elle est arrivée en France et qu’elle a compris que l’eldorado tant convoité n’existe pas. C’est sa guerre depuis son premier roman le ventre de l’atlantique paru en 2003, qui lui a valu la notoriété.
Fatou Diome, elle est la terreur des plateaux de télévision. En tant que journaliste, j’en arrive même à penser que certains sont bien « maso » de l’accueillir sur leur plateau. En effet, pour vous plomber l’ambiance devant des interlocuteurs hypocrites, il n’y a pas meilleur qu’elle. Elle n’hésite pas une seconde à les remettre à leur place, à les engueuler ou même à leur cracher leur ignorance à la figure devant tout le monde avec un sens de la répartie extraordinaire. C’est que la dame ne pratique pas la langue de bois, il suffit de visualiser l’extrait proposé ci-dessous pour s’en convaincre. Fatou Diome ne supporte pas le racisme, qu’il soit ouvert ou diffus. Elle est estomaquée de constater l’ignorance feinte des gens du nord qui, disent-ils, refusent de recevoir la misère du monde. Mais de quelle misère parle t-on ?
L’écrivain Fatou Diome, et c’est encore heureux, est une des plus pertinentes personnes ressources sur le thème de l’immigration. Elle a fait des études sur le sujet, elle a expérimenté le voyage, le mariage mixte, l’intégration, bref, elle est passée par toutes les étapes possibles et imaginables pour réussir sa vie en France.
Née à Niodior dans les îles du Saloum en 1968, elle a été éduquée par sa grand-mère. Ici au Sénégal on a l’habitude de dire que les enfants éduqués par leurs grands parents sont souvent « pourris gâtés ».
Sa grand-mère l’a quand même laissée aller à l’école même si elle met un certain temps à accepter le fait que Fatou puisse être éduquée : la petite Fatou doit aller à l’école en cachette jusqu’à ce que son instituteur parvienne à convaincre son aïeule de la laisser poursuivre. Elle se passionne alors pour la littérature francophone mais, à treize ans, elle doit quitter son village pour poursuivre ses études dans différentes villes du Sénégal. C’est là que Fatou a appris à prendre son destin en mains. De famille modeste, elle a dû travailler comme bonne pour financer ses études. Elle loue sa petite chambre de bonne et vit seule pendant toutes ces années. Pour tromper sa mélancolie, elle écrit, dans une sorte de journal intime, le récit de sa petite vie. Voilà comment est né l’amour de l’écriture. Elle aime à dire que c’est l’écriture qui est venue à elle et non le contraire.
Elle finira par rencontrer un français avec lequel elle se mariera et ira en France. Elle a 22 ans. Rejetée par la famille de son époux, elle divorce deux ans plus tard et se retrouve en grande difficulté, abandonnée à sa condition d’immigrée sur le territoire français. Pour pouvoir subsister et financer ses études, elle doit faire des ménages pendant six ans, y compris lorsqu’elle peut exercer la fonction de chargée de cours au cours de son DEA, fonction qui lui apporte un revenu insuffisant pour vivre.
Après la parution d’un recueil de nouvelles en 2001 La Préférence nationale, aux éditions Présence africaine, son premier roman, Le Ventre de l’Atlantique, éditions Anne Carrière, paru en 2003 lui vaut une notoriété internationale.
Ce roman écrit dans un style narratif et imagé retrace de façon authentique la réalité de l’immigration et dit surtout la vérité sur la misère des immigrants, leur blues et leur mal être sans nuances et sans tricherie. Ceux qui sont restés au pays se prennent ainsi une baffe en pleine figure en perdant toutes leurs illusions d’un seul coup avec ce texte impitoyable, ces échanges entre un frère et sa sœur qui donnent à voir sur les difficultés de l’intégration en France.
Salie vit en France, son frère, Madicke, rêve de l’y rejoindre et compte sur elle. Mais comment lui expliquer la face cachée de l’immigration, lui qui voit la France comme une Terre promise où réussissent les footballeurs sénégalais, où vont se réfugier ceux qui, comme Sankèle, fuient leur destin tragique? Comment empêcher Madicke et ses camarades de bâtir des châteaux en Espagne, quand l’homme de Barbes, de retour au pays, gagne en notabilité, escamote sa véritable vie d’émigré et les abreuve de récits où la France passe pour une Arcadie imaginaire? Les relations entre Madicke et Salie nous dévoilent l’inconfortable situation des « venus de France », écrasés par les attentes démesurées des leurs restés au pays ?
Un peu autobiographique, le roman de Fatou Diome l’a en tous cas installée définitivement dans la sphère des intello africains qui, pour la première fois, osent dire à la France qu’il y’ a un autre type d’immigration que l’immigration alimentaire.
En effet, l’écriture de Fatou Diome revendique le droit de voyager, d’aller voir ailleurs, de vouloir travailler autrement en dehors de son pays natal et de vouloir être bien accueilli et bien intégré. Il ne s’agit pas juste de fuir la misère et la pauvreté mais aussi de se frotter au monde. Pourquoi les racistes refusent ce droit aux africains ? Pourquoi sont-ils stigmatisés ? L’écrivaine leur explique pourtant que tout n’est pas pauvre en Afrique, tout n’est pas misérable, sinon que font ces hordes d’européens sur le continent ? Ils recherchent la richesse et le bien être. Alors voilà ! C’est ce qu’elle appelle le paradigme du bon passeport, quand on est européen on a le droit d’aller partout sans problème, quand on est africain, on est confronté à toutes sortes de procédures et de demandes de visa pour bouger. Et on s’étonne que certains en arrivent à affronter la mer !
Voilà qui est Fatou Diome, la lionne. Femme courageuse, intelligente, généreuse et nostalgique qui veut rester fidèle à l’éducation que lui a donnée sa grand-mère ; éducation de la sénégalaise authentique qui aime profondément son terroir et son peuple et sait comment les faire aimer des autres à travers son écrit. C’est une écrivaine douée, une des plus douées de sa génération qui compte aujourd’hui dans sa bibliographie neuf publications :