La Sénégalaise Fatimata Dia Sow, nommée au poste de Commissaire chargée du développement humain, des affaires sociales et du genre à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) remplace à ce poste une autre sénégalaise, l’ex journaliste de la Rts Dr Adrienne Yandé Diop. Dr Fatimata Dia Sow est une spécialiste des questions féministes et de l’agriculture rurale, titulaire d’un doctorat en sciences et médecine vétérinaires obtenu en 1992 à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, d’un diplôme spécialisé en Economie et Politique rurale avec distinction (Louvain la Neuve/Belgique) en 2001, et d’un PhD en Economie agricole et Genre (Wageningen University/ The Netherlands) en 2010.
Récemment de passage au Sénégal, elle a bien voulu rencontrer l’équipe de debbosenegal. Cette femme engagée qui connaît mieux que personne les problématiques du monde rural en Afrique, nous a entretenu du mode de fonctionnement de l’institution sous régionale, des enjeux de sa nouvelle politique et des ambitions du département qu’elle gère.
Aujourd’hui quels sont les instruments dont dispose la CEDEAO pour faire respecter les droits des femmes et des enfants?
La CEDEAO ne fait qu’aider à travers ses institutions, mais elle ne peut pas se substituer aux pays. Une fois que les chefs d’état ont signé les conventions, nous devons œuvrer à leur respect. Pour ce qui est des droits des femmes et des enfants, nous essayons de créer des synergies avec les institutions des pays, les ministères, les agences qui doivent mettre en musique les lois. Nous les aidons à avoir des plans d’action. La CEDEAO a une cour de justice et elle a pour rôle de faire comprendre aux populations l’importance des conventions que nous signons. Tout le monde doit savoir ce qu’est sa responsabilité. Nous utilisons les agences existantes dans les pays. Il y’a aussi le parlement de la CEDEAO. Nous avons écrit beaucoup de documents de politique mais ils ne sont pas appliqués. Sur le terrain, il existe une grande disparité entre ce qui est signé et ce qui est appliqué.
Quid de l’approche féministe dans la prise en charge des besoins des femmes?
L’approche féministe est souvent une approche de plaidoyer. Des revendications à travers des tracs, des colloques, des marches pour la promotion des femmes. Paradoxallement, les plus grands féministes sont des hommes ! Et surtout les économistes. Ce sont eux qui sont venus montrer par leur études, la réalité de l’apport des femmes dans l’économie familiale. Ils ont chiffré la main d’œuvre familiale afin d’en démontrer l’impact sur le développement socio-économique et sur l’économie du marché. Il était important d’évaluer et de valoriser le travail de la femme : le ménage, les soins aux vieux, l’éducation des enfants, la gestion de la maison etc. Tout cela a été chiffré et rapporté au Produit intérieur brut (PIB) pour mettre la lumière dessus. Que coûte réellement les travaux non rémunérés?
Nulle part avant, on ne parlait de travail familial ou de travaux domestiques. Il a fallu l’arrivée des économistes féministes pour chiffrer et souligner la réalité du travail des femmes. Voilà ce qui a mis en exergue la sensibilité genre. La femme doit être impliquée dans la prise de décision et dans l’élaboration des programmes nationaux. Cela a réveillé le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) qui ont commencé à prendre en compte la sensibilité genre.
Que pensez vous de la présence de la femme dans l’agriculture familiale? Cette approche genre n’est elle pas un leurre qui implique les femmes à l’agriculture alors qu’elles n’ont pas accès à la terre?
La CEDEAO souvent ne se mêle pas des sensibilités socioculturelles dans les pays membres mais pour ce qui est de l’accès aux terres, elle a mis en place une politique agricole commune à travers les programmes nationaux d’investissement. Cependant, il revient aux pays de régler ce problème d’accès aux terres. Les pays ont différentes croyances en ce qui concerne l’accès à la terre. Par exemple, au Sénégal, je sais que toutes les femmes ont accès à la terre mais c’est l’appartenance qui pose problème. Les hommes sont toujours prioritaires. Même si ton mari te permet d’exploiter la terre, le lopin ne t’appartiendra pas.
Le changement de mentalité consiste à pousser les femmes à en faire la demande. En fait, elles ne sont pas informées qu’elles pourraient faire la demande de terrain aux collectivités locales. Parfois aussi, même si elles sont informées, elles ne sont pas motivées. Elles comptent sur le mari ou le frère. Il est donc important de procéder à un changement de mentalités. Dans d’autres cultures, il n’est même pas permis aux femmes de demander la terre. Dans le nord du Sénégal, quand je travaillais avec le MCA Sénégal, nous avions pu obtenir jusqu’à 20% des terres réservées aux femmes.
Cela veut dire que tout est une question d’approche et de négociation sur le terrain. Les hommes ne rechignent pas toujours à céder les terres aux femmes parce qu’ils savent bien que c’est elles qui les exploitent. La CEDEAO en réalité, aide à l’accès au matériel et à l’eau mais elle compte sur les pays pour l’appropriation des terres par les femmes.
Le constat montre cependant que la femme africaine reste très défavorisée et reste la première victime de la pauvreté. Comment expliquez vous cela, vous qui avez le département genre?
La disparité dans l’accès aux ressources est un souci pour nous; un souci constant. Ce qui explique les efforts consentis pour changer la donne. On a besoin d’une grande approche de sensibilisation des populations mais aussi de l’éducation des filles. Il faut aussi des actions politiques tangibles notamment pour intégrer les femmes dans les comités locaux et dans les collectivités rurales. Pourtant, tout est là, réuni: les bailleurs de fonds sont disponibles ; ils mettent même des contraintes de quota parfois pour discriminer positivement les femmes, les acteurs politiques sont sensibilisés, les instruments institutionnels existent, les textes aussi existent. Seules les croyances traditionnelles bloquent encore; notamment le degré de sensibilisation de nos leaders culturels et de nos chefs religieux. Mais, je suis persuadée que l’on peut y arriver, surtout s’ils sont associés au processus.
Votre département mène t-il des actions de terrain dans les zones de guerre ?
C’est l’essence même de notre travail. La paix et la sécurité sont au cœur de l’intégration régionale. L’intégration ne peut pas se faire en zone de guerre, donc, la stabilité et la paix sont les maîtres mots de nos actions et interventions. Nous avons des actions humanitaires et de maintien de la paix comme au Mali. Dans les zones de conflit, les populations, surtout celles qui sont dans les zones frontalières, perdent tout dans leur fuite : l’école des enfants, les terres des hommes, et les femmes sont les principales victimes. Toute la famille perd toutes ses ressources dans le déplacement des populations. Nous travaillons avec le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) et le Programme alimentaire mondial (PAM). Nous appuyons aussi la fédération de la croix rouge. Avec le PAM, nous avons signé un contrat. Chaque fois qu’il faut donner des vivres, c’est eux qui interviennent rapidement. Ils sont outillés pour la logistique, l’assistance aux enfants, les tentes, les médicaments etc.
A la CEDEAO , nous avons un programme d’urgence : conflit, réfugiés et humanitaire. C’est un programme phare de la CEDEAO. Et c’est en droite ligne avec la protection des droits humains. Et mon département a un important budget pour cela. Nous appuyons financièrement les ONG et les institutions sur le terrain pour appliquer nos plans d’action pour la protection des populations migrantes. D’ailleurs, pour ce qui est de boko haram récemment, nous avons appuyé la croix rouge. Nous mettons en action ces plans avec les pays qui sont en situation difficile. Nous consacrons vraiment un budget consistant au respect des droits humains, au droit à l’éducation et à la sécurité.
Dans la crise de l’épidémie d’ébola, quelles sont les actions que votre institution a engagé afin de soutenir les pays concernés?
La CEDEAO a joué un grand rôle dans cette crise. L’organisation ouest africaine de la santé est une agence de la CEDEAO, qui la finance. La CEDEAO tient la coordination globale des actions contre Ebola mais c’est l’OAS qui intervient. Ils ont beaucoup fait pendant la crise d’Ebola. La CEDEAO a très tôt pris en charge de façon sérieuse la crise. Une réunion des 15 chefs d’état a été organisé par nos soins et ils se sont engagés. Il fallait aussi organiser une meilleure coordination des actions sur le terrain parce qu’il y avait beaucoup d’intervenants. Une décision prise par les chefs d’état de mettre en place un centre de prévention des maladies comme Ebola a été prise et on va investir aussi dans la recherche. Beaucoup de décisions importantes ont été prises. Un centre de régulation des épidémies sera aussi installé dans un des 3 pays impliqués..
La CEDEAO paraît être une des rares institutions sous régionales qui n’a pas de problème de cotisation ?
Ne vous y trompez pas. La CEDEAO connaît des problèmes plus que tous les autres. Sur les 15 pays, seuls 4 ou 5 cotisent correctement. C’est une taxe de 0,5% sur les importations des pays qui doit être prélevée et reversée à l’institution. Cela s’appelle la taxe sous régionale. Mais, c’est très difficile de respecter les prélèvements communautaires. Cependant, avec le peu que nous recevons, nous déroulons nos programmes à 80% sur nos fonds propres et le reste nous vient des bailleurs. Le Nigéria, la Côte d’ivoire, le Sénégal et le Ghana sont les 4 grands pourvoyeurs de la CDEAO et le Nigéria seul compte pour 60%. Nous sommes ainsi assez autonomes dans nos actions.
En ce qui concerne les infrastructures, la CEDEAO est très engagée et elle travaille en collaboration avec l’Union Africaine. Nous comptons sur les bailleurs de fonds surtout quand il s’agit des infrastructures lourdes comme pour l’autoroute Abidjan-Lagos ou pour certains ponts avec l’aide de la Banque Africaine de Développement (BAD) car, ces projets sont très coûteux.
Quelles sont les actions menées pour l’émergence d’un leadership féminin dans la sous région ?
Nous sommes passées par plusieurs concepts avant d’arriver à l’approche genre et rassurer les hommes qui ont pris peur de l’émergence féminine. Il reste beaucoup à faire pour le positionnement des femmes dans les instances de décision. Nous devons travailler sur les questions d’équité dans l’accès aux institutions. Mme Helen Serleaf Johnson est la seule présidente en Afrique ! Nous prônons l’égalité des sexes mais je reconnais qu’il faut encore du chemin. Je ne milite pas pour la parité mais pour l’équité. L’égalité doit concerner l’accès aux ressources : l’éducation, la santé, le marché du travail, le crédit et l’accès à la prise de décision. Voilà ce qui est essentiel. L’accès aux opportunités aussi. A la CEDEAO, nous donnons depuis 3 ans des bourses aux jeunes filles des pays membres.
Notre propre engagement à nous les femmes doit nous aider en premier et ensuite il va falloir continuer aussi le plaidoyer notamment avec l’aide de la société civile. Mon département a fini de travailler sur les textes concernant le leadership féminin. Nous les avons fait valider par le conseil des ministres de la CEDEAO et ensuite, nous les avons fait endosser par les chefs d’état. Maintenant, quelque soit le gouvernement, les lois doivent être appliquées et respectées. En aucun cas, le leadership féminin ne doit reculer au Sénégal. Là aussi la société civile a un gros rôle à jouer. Quand les politiques sont muets, c’est à la société civile de les secouer. Cela est un travail continu. Heureusement qu’au Sénégal; les médias sont très dynamiques à côté de la société civile car il faut être aux aguets.
Avez-vous une ambition politique ?
Ce que nous faisons tous les jours, ce n’est rien d’autre que de la politique !