Le prétexte était de sauver Saint-Louis d’un éventuel envahissement des eaux de pluie, car la côte d’alerte était largement dépassée, avec les lâchers du barrage de Diama. Mais la décision avait été prise sans mesures d’accompagnement. Depuis, l’écosystème a changé. Les habitants de la bande de terre appelée «Langue de Barbarie» vivent dans la panique, avec une mer qui hante leur sommeil. L’ouverture de cette brèche a entrainé la disparition de beaucoup de villages dans le Gandiolais et paralysé le quotidien de milliers de personnes en impactant négativement la pêche, le tourisme, le maraîchage… De quatre mètres, la brèche s’étend aujourd’hui sur plus de 7 km et elle est le cauchemar des pêcheurs. Une situation qui confirme la place de Saint-Louis dans le «gotha» des villes africaines les plus menacées par les changements climatiques et l’action de l’homme sur l’environnement.
Pour mesurer l’importance de la problématique de la brèche, nous avons pris une pirogue pour approcher cette ouverture humaine qui a changé la vie de toute une ville. Tôt le matin, nous embarquons avec un pêcheur aguerri pour nous guider. Ibrahima Dièye nous demande de réciter des versets coraniques et puis il jette du lait dans l’eau. Nous quittons ainsi le Sine (place de transformation des produits halieutiques), situé en face du cimetière de Guet-Ndar. Au bout d’un tour et demi d’horloge sur le grand bras du fleuve qui mène dans le Gandiolais, nous arrivons au point indiqué. En face de nous, une vaste ouverture dans le sable qui mène à l’océan Atlantique. Les bruits des vagues sont perturbés par les piaillements des oiseaux qui viennent du parc de la Langue de Barbarie et qui migrent vers le parc de Djoudj.
Cette excursion en plein fleuve a permis de mesurer le danger qu’encourt tout pêcheur qui s’aventure à traverser la brèche. Notre pirogue, qui est passée à moins d’un kilomètre de la brèche, a goûté à la férocité des vagues qui troublent la quiétude du fleuve. Une véritable zone de turbulence ayant installé un moment de panique dans notre pirogue.
Sans qu’on s’y attende le moins du monde, le pêcheur Ibrahima Dièye fond en larmes. Des pleurs qui nous perturbent. Il coupe le moteur de la pirogue et dit : «j’ai perdu ici mes deux fils, avec leur embarcation. Ils ont voulu traverser cette brèche en revenant de la pêche». Il essuie ses larmes et accuse les décideurs politiques : «ils avaient réglé un problème en sauvant Saint- Louis des eaux de pluie, mais ils ont tué près de 300 jeunes avec cette brèche», a-t-il lancé.
A Guet-Ndar, parler de la brèche, c’est remuer un couteau dans une plaie, car cette embouchure artificielle a ôté la vie à des centaines de pêcheurs depuis 2003. Notre guide est formel : «regardez-la bien, c’est un cercueil ouvert, elle a englouti tous nos enfants, jamais je ne traverserai cette brèche». Il poursuit : «au mois de janvier, 30 personnes ont trouvé la mort après le chavirement de leur pirogue qui a échoué sur un banc de sable qui n’était pas visible».
En effet, le danger est très manifeste. C’est une hécatombe. En face de la brèche, le village de Pilote Barre de Gandiol est sous la menace d’une disparition. Comme elle a fait à Doune Baba Dièye, la brèche trace des sillons similaires pour rayer ce village de pêcheurs et de tourisme de la carte du Gandiolais.
Doune Baba Dièye disparu, menace sur Keur Bernard et Pilote Barre avec des conséquences dramatiques
A Doune Baba Dièye, il ne reste que des vestiges. Les populations frappées par de fortes vagues ont préféré quitter la terre de leurs aïeuls. Aujourd’hui, beaucoup de personnes sont hébergées par des parents dans d’autres villages, alors que les plus nantis ont acheté des parcelles ailleurs, pour recommencer une nouvelle vie. Avant sa disparition, ce village faisait travailler environ 5000 personnes directement et indirectement, à travers les secteurs comme le maraîchage, l’hôtellerie, le commerce, mais surtout la pêche.
Cette menace pèse aujourd’hui sur des villages comme Keur Bernard et Pilote Barre. Dans cette partie du Gandiolais, le secteur du tourisme est le plus frappé par le phénomène de la brèche. Des réceptifs hôteliers sont emportés dans les eaux. Avec l’ouverture de la brèche, les villages qui faisaient face au continent s’érodent. Déjà, les eaux commencent à emporter les habitations. L’avancée de la mer cause aussi la salinisation des terres dans le Gandiolais où les gens vivent de maraîchage. Ce même phénomène a une conséquence négative sur les poissons d’eau douce.
«Beaucoup d’espèces ont disparu ou migré vers d’autres cieux. Ce qui entraine une baisse de l’activité de la pêche dans ces villages de pêcheurs», a fait remarquer notre guide. Le parc national de la Langue de Barbarie, qui était la deuxième attraction en matière de tourisme dans la région de Saint-Louis, a perdu toute son aura. L’ouverture de la brèche a fortement perturbé le cycle de reproduction des oiseaux, d’où leur migration vers d’autres horizons.
Parler de Guet-Ndar, c’est parler de la pêche, qui est d’ailleurs l’activité motrice de la vie économique de Saint-Louis. Dans cette ville, si la pêche éternue, Saint-Louis s’enrhume. Dans le populeux quartier de Guet-Ndar, depuis l’ouverture de la brèche, la pêche est au ralenti. Sur le plan social, on ressent les conséquences néfastes de la brèche. Des familles entières sont emportées par la brèche, causant ainsi le manque de bras valides. «La brèche a emporté la plupart des jeunes», s’exclame Ibrahima Dièye, qui reconnaît que faute de n’avoir pas écouté les conseils et les prévisions météorologiques, les jeunes ont essuyé les conséquences. «A Guet-Ndar, les jeunes ont tendance à montrer leur bravoure en bravant les interdits, c’est un fait social», se désole-t-il. Mais, il pense que les nombreuses morts enregistrées devront amener les autorités à penser au plus vite à des solutions durables.
En tout cas, le fait le plus étonnant révélé à travers le débat que suscite depuis des années cette brèche, est que cet ouvrage a été réalisé sans étude d’impact environnemental préalable. Une révélation qui fait sursauter beaucoup de défenseurs de l’environnement et de chercheurs spécialistes des questions de la nature. Plus étonnant, certaines personnes rencontrées sur les lieux confient que les autorités en charge de l’environnement n’ont trouvé comme solution que d’installer des pneus de fortune le long des zones qui font face à la brèche pour, disent-elles, essayer de ralentir l’érosion côtière.
Aujourd’hui, l’avancée quotidienne de la mer est sur toutes les lèvres. De Guet-Ndar à Ndar-Toute, en passant par Santhiaba, la situation est la même. La mer est à deux doigts des maisons. Jadis, pour aller à la mer, il fallait emprunter une charrette. Mais, depuis 10 ans, la furie des vagues s’est accentuée. Des centaines de maisons sont endommagées. Des familles entières sont devenues sinistrées et ont été recasées dans des écoles. Des connaisseurs avertis ont mis tout sur le dos de l’ouverture de la brèche. «Il y avait une érosion côtière, mais la brèche a été une cause directe de ce qui se passe aujourd’hui», nous a dit Ibrahima Dièye. Notre retour sur la terre ferme a été une occasion forte pour nous de constater les dégâts, certes, mais aussi de mesurer les avantages de la brèche.
Ce canal permet aux pirogues d’accoster à l’intérieur du village, alors qu’avant, les pêcheurs étaient obligés de décharger leur capture sur la plage. La brèche constitue ainsi un raccourci, permettant de gagner sur la quantité de carburant utilisée. Il a été noté la réapparition d’espèces marines, comme les huitres dont l’exploitation constitue une nouvelle source de revenus pour les populations, surtout les femmes des villages environnants.
source : http://jotay.net