Le constat de l’énorme retard accusé pendant ces cinquante années d’indépendance par l’Afrique doit nous inciter à mesurer le saut gigantesque qui reste à accomplir. Le niveau de développement atteint par l’Asie du Sud-est devrait nous pousser à investir dans la science et la technologie. Ces pays dont le PNB était pour la plupart inférieur à celui du Sénégal dans les années soixante, et qui aujourd’hui concurrencent les pays de l’union européenne et les USA et supplantent l’Afrique dans la production des produits agricoles ont misé avec succès sur une politique à long terme axée sur l’éducation et la formation, et privilégiant la science et la technologie. Aussi l’Afrique doit-elle réussir le défi de l’éducation, de la formation de sa jeunesse en ce 21ème siècle. Il est essentiel pour nos pays de trouver les voies et moyens de bâtir une école adaptée, pour tous et durablement. L’école doit devenir le catalyseur de toutes les énergies pour les orienter vers la construction d’une Afrique ambitieuse, conquérante, par dessus tout généreuse et fière de participer à la compétition entre les peuples et les nations. Dans une telle perspective, et dans un contexte de crise profonde du système éducatif sénégalais, nous nous sommes entretenus avec le Dr Madiagne Diallo, jeune prodige sénégalais au parcours atypique, formé dans les langues nationales, aujourd’hui Directeur de la Planification et des études au Conseil économique, social et environnemental du Sénégal, entre autres fonctions. Lauréat du prix Who is Who in the World” 2010, revue marquis « Who is Who », Usa, finaliste du « prix jeune scientifique de l’Etat de Rio de Janeiro en 2009, lauréat du « prix productivité en recherche du Brésil 2008 » sur 1.2 millions de chercheurs et lauréat du prix jeune chercheur du Brésil en 2007, sur 6000 candidats. C’est dire que notre interlocuteur sait assurément de quoi il parle. Discussion a bâtons rompus.
: Quel regard jetez vous sur le développement scientifique du Sénégal de l’indépendance à nos jours ?
Dr M.D: Des indépendances à nos jours, la recherche scientifique a pris plusieurs allures. Des années 60 aux années 80-90, mise à part l’UCAD, le Sénégal avait mis en place de grandes institutions de recherche axée sur l’agriculture notamment, les fameux Institut Nationale de Développement Rural et Ecole Nationale Supérieure d’Agriculture entre autres…. Ces fleurons ont soit disparu ou ont perdu de leur vitalité, constat bien amer… Notre agriculture n’a pas eu le support scientifique qu’elle aurait du avoir pour se développer et tous les programmes de relance de l’agriculture mis en place depuis 2000, n’ont pas pu corriger ces faiblesses et redynamiser la politique agricole dans ce pays, car non affilié à un plan national de recherche dans le domaine. Sur le plan technologique, c’est vrai que le Sénégal regorge d’inventeurs et de créateurs et je rencontre dans le monde des sénégalais qui excellent dans leurs domaines mais rien n’a été fait pour capitaliser tout ce génie créateur. Ceci ne découle pas aussi du résultat d’un Plan National de la Recherche. Ces cinquante années d’indépendance n’ont pas fait le lit d’un véritable développement scientifique et technique. Toutefois, on constate un véritable essor dans les télécommunications mais cet essor est plus du à un phénomène de marché qu’à une véritable politique de recherche scientifique et à ce titre, on peut dire que la Sonatel doit sa croissance aux produits et technologies importés de la France et autres pays du Nord.
: A quoi est du cette léthargie dans le domaine de la recherche ?
Dr M.D : Beaucoup de centres de recherche universitaires ne le sont que de nom. Ils rencontrent des difficultés énormes pour mettre en pratique leurs théories, fautes de moyens matériels et financiers. Un chercheur a besoin de bouger, d’aller à la rencontre de ses pairs, de constituer des équipes et tout cela demande certains moyens. Le mal de l’Afrique, c’est qu’elle peine à mettre en application les théories scientifiques de ses chercheurs.
C’est dire donc que notre pays a besoin de reconfigurer le monde de la recherche. Certes nous avons un Ministère de la Recherche Scientifique, comme ça l’a toujours été d’ailleurs mais je me demande s’il est vraiment là pour les chercheurs. De 1960 à nos jours, on n’a jamais vu un plan directeur de recherche pour le Sénégal. Demandez à un chercheur ou quelqu’un qui évolue dans ce domaine, quel sera l’état de la recherche dans dix ans, il ne sera pas en mesure de vous répondre, parce qu’il n y’a pas de prospective. Le seul secteur qui frétille est celui des nouvelles technologies bien que l’on puisse regretter qu’elles soient en majorité venues de l’extérieur. Saluons tout de même l’émergence de nouveaux sénégalais rompus à ces nouvelles technologies. L’UCAD commence à connaître un timide essor grâce au transfert de technologies et à la création d’écoles doctorales qui essaient tant bien que mal de répondre aux besoins de la société sénégalaise. Disons que l’UCAD et l’université Gaston Berger commencent à se réveiller.
: Pouvez –vous nous dire quels sont ces besoins spécifiques ?
Dr M.D : Si vous jetez un regard sur la société, vous verrez qu’elle est très féconde ou devrait l’être pour les chercheurs et je reste persuadé que mes collègues en sont conscients. Le pays était composé d’une classe moyenne assez stable faite essentiellement de fonctionnaires et de paysans. Aujourd’hui on voit l’émergence d’une classe de nouveaux riches et enfin une énorme classe de pauvres, le tout sur fond de renchérissement du coût de la vie et d’enchevêtrement de traditions, de rites religieux et de modernisme. On est dans un environnement sociétal très complexe, d’où le besoin d’accompagner la société dans les processus de satisfaction de ses besoins et c’est en ce sens que les sciences sociales se révèlent être très importantes. Beaucoup de gens se réfugient dans des groupements et autres sectes religieux, parce qu’ils ont du mal à se construire un avenir et surtout pour se sentir exister quand ils se sentent délaissés par la vie. Il faut de ce fait renouer le fil du dialogue avec la population, asseoir une bonne politique de communication sociale sur toutes les problématiques majeures qui interpellent la société, notamment de santé (maladies, épidémies, etc). L’université devrait pouvoir assurer cette formation et doit être dotée de moyens adéquats pour remplir cette fonction.
En urbanisme, à part le plan sur les infrastructures, il n’y a pas de plan directeur pour la plupart des villes au Sénégal. Les gens construisent n’importe comment, il n’y a pas de fiscalisation de la construction, de contrôle, de respect des normes de construction et pour tout cela, le département du génie civil de l’école polytechnique devrait être mieux impliqué et plus responsabilisé. Il n’y a pas de lien entre les besoins de la société et la recherche scientifique et il faut absolument mettre en place un plan directeur de recherche scientifique qui réponde aux attentes des populations, du gouvernement à moyen et long terme, et qui favorise une participation des citoyens aux décisions publiques.
Les grandes puissances ne prennent des décisions qu’après avoir recueilli l’avis des universitaires, toute la substance théorique des projets de loi est le fait d’universitaires engagés dans la réflexion sur les projets du futur parce qu’elles ont compris qu’une nation ne se développe réellement que si elle entretient un regard prospectif sur son devenir.
: Dr Diallo, est-ce donc un constat d’échec quand on sait que le gouvernement alloue depuis plus de dix ans 40% de son budget à l’éducation ?
Dr M.D : Je ne dirais pas échec parce que cela sous entendrait qu’un projet existe et qu’on n’a pas pu le mettre en œuvre dans le temps imparti. L’éducation est un projet permanent, qui n’a pas de fin, seulement le gouvernement doit opter en matière d’éducation pour des investissements adaptés aux besoins des populations. Je suis ravi d’entendre que le Sénégal met plus de 40% de son budget dans l’éducation, c’est beaucoup d’argent et certainement beaucoup d’ambition mais au vu des résultats, il est légitime de se poser des questions sur l’utilisation et le contrôle efficaces de ces fonds. Une évaluation sérieuse des politiques et programmes d’éducation a-t-elle été faite depuis que l’Etat alloue 40% du budget ? Quel est l’impact du moindre petit franc dépensé en éducation sur le mieux être des populations ? Certes le taux d’analphabétisme baisse mais même si on ne faisait plus rien pendant trente ans, tout le monde serait alphabétisé avec l’internet. La question à se poser est donc de savoir si pour 40% de budget, a-t-on pour autant un projet aux résultats quantifiables, dont les coûts sont précisés et les impacts mesurés et accompagnés ? Ce sont de telles questions que les autorités doivent se poser et chercher à y apporter des réponses concrètes.
: On peut comprendre par là donc que le système éducatif sénégalais n’est pas conçu pour favoriser un enseignement adapté à l’évolution et à la connaissance dans notre pays ?
Dr M.D : Absolument ! Le système éducatif tel qu’il est conçu du jardin d’enfant à l’université ne sera jamais un levier de développement pour ce pays. En théorie fondamentale, nous sommes très forts mais ce qui développe un pays, c’est sa capacité de transfert de la connaissance et la synergie qui existe entre formations et besoins des populations et du gouvernement. A l’école primaire, on apprend tout par cœur, en fait on ne fait qu’enregistrer durant tout le cycle. On ne vit pas ce qu’on nous enseigne, on ne teste pas notre créativité et cela jusqu’au bac. Notre formation universitaire reste très théorique et fondamentale. Il n’est pas rare de voir un professeur enseigner la gestion d’entreprise ou les finances corporatives sans jamais avoir exercé la profession de gestionnaire d’entreprise. Il manque aux étudiants l’opportunité de mettre en pratique toutes les théories apprises. En fait, on tue en eux l’inventeur et le créateur.
Nos universités regorgent de thèses sur la pensée de Jean ou de Paul mais pourquoi ne pas privilégier les théories de nos penseurs locaux ? Combien d’écrits du Pr Cheikh Anta Diop nous a-t-on laissés ? Combien d’applications de ses thèses existent ? Il nous faut axer nos politiques de recherche sur nos propres réalités et besoins. Un système éducatif émergent est un système qui sert le pays, qui le fait vivre et qui lui permet de se reproduire par la prospective. Prenez un professionnel de la musique ou un artiste et demandez lui de monter un concert, il fera appel à des techniciens étrangers, pareil pour l’hôtellerie. Allez par exemple dans les toilettes du building administratif, avant les travaux de réfection en cours, l’espace y était insalubre, c’est vous dire à quel point se posent encore des questions d’hygiène publique, de formation de base en hygiène sanitaire… Les problèmes de base restent entiers.
: Ne sont-ce pas là des problèmes culturels ?
Dr M.D : Non, c’est plutôt la formation des professeurs et les méthodes de transmission de la connaissance qui sont en cause. Auparavant, ces derniers avaient juste comme support pédagogique des livres mais maintenant ils peuvent avec internet actualiser leurs connaissances à tout moment. Les sources d’information et de connaissances sont multiples mais il reste à savoir combien d’entre eux ont accès à internet d’où la nécessité de réduire considérablement le gap numérique afin de leur permettre de rester performant. Le sénégalais Lambda, considérant ce qu’il voit à la télé et entend à la radio, pourrait croire que le Sénégal est un pays développé mais je lui dis que le Sénégal fait partie des pays les plus pauvres du monde, hélas. Nos professeurs et nos éducateurs sont en déphasage parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acquérir la technologie et ceux qui en ont les moyens préfèrent partir pour ne pas être dépassé. C’est beaucoup d’argent investi dans un système complètement déphasé.
: Que faire donc pour que ces sénégalais bien formés à l’extérieur puissent revenir prendre en main le recherche au Sénégal ?
Dr M.D: Disons les africains en général car les universités étrangères recrutent des gens de toutes les nationalités, le seul critère étant qu’ils possèdent la connaissance dont le pays d’accueil a besoin. Par contre le professeur sénégalais enseigne ce qu’il veut ou ce qu’il pense qu’il est bon de savoir. C’est cela la différence entre des universités qui répondent aux besoins de leur pays et nos universités qui ne savent pas interpréter les attentes de leurs populations.
Maintenant comment faire revenir nos élites de la diaspora ? Ce ne sont pas les scientifiques qui vont développer ce pays. Il faudra plus compter sur des ressources qui cumulent capacité et connaissances tels que les techniciens et ingénieurs pour sortir ce pays de l’ornière. Il nous faut de la main-d’œuvre qualifiée qui combine connaissance académique, qualification industrielle et qui intègre les besoins socio-économiques de son environnement. Les sénégalais et autres africains formés à l’extérieur ont ce potentiel, reste à leur offrir la latitude de transférer leurs connaissances. Au Sénégal aussi, on trouve ce potentiel, mais il faut leur faire confiance. Il serait judicieux de réduire le quantum horaire des professeurs afin de leur permettre de consacrer un peu plus de temps à la recherche et au développement. Certes le Sénégal n’a pas les moyens de ramener tous ses ingénieurs mais ce serait là une belle opportunité de réformer le système universitaire en favorisant le transfert de connaissance et l’extension, par la participation des professionnels de l’industrie dans la formation universitaire.
: Sur quels secteurs dynamiques, le Sénégal pourra t-il miser pour se développer ?
Dr M.D : Incontestablement, sur la maîtrise et l’utilisation des technologies. Les puissances de ce monde ont bâti leur armée sur la technologie. Tout pays sous-développé a besoin de technologie pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, le bras ne suffit plus pour accompagner l’évolution démographique. Lorsqu’on a vu des pays comme l’Inde, la Chine, le Brésil se développer, le monde a commencé à manquer d’aliments. Il faut de la production de masse et qui dit masse, dit temps et rapidité donc technologie. En matière de santé, il faut de la technologie car pour lutter contre les épidémies, ce n’est plus une question de médicament. Pour gagner du temps, il faut de la technologie, pour gagner en sport, idem, ce n’est plus une question de muscle. Pour former en masse, produire en masse, réfléchir en masse, agir en masse, réduire les distances, lutter contre la pauvreté, c’est encore et toujours de la technologie. Nous ne pouvons plus nous permettre de rester à la traine, ni de mettre le même temps que les autres ont mis à se développer sinon nous ne pourrons jamais discuter d’égal à égal ou taper sur la table donc il faut une utilisation massive et tout azimut des technologies.
Imaginez à quel point le téléphone portable et l’internet ont réduit les coûts de la vie, réduit les distances, et permis aux sénégalais de faire des économies ! N’est-ce pas là une manière concrète de lutte contre la pauvreté ? Et c’est aussi le lieu de dénoncer les agissements des sociétés de télécommunication de la place des sociétés de télécommunication de la place qui appliquent des tarifs élevés , car l’internet est un moyen public car l’internet est un moyen public gratuit et si la VOIP (voix par internet) est utilisée, ceci devrait avoir un impact conséquent sur les prix, comme c’est le cas aux USA, en Europe… L’ARTP devrait se doter de moyens d’évaluation des coûts réels des opérateurs. La législation ne suffit pas, il faut s’impliquer dans l’opérationnel.
A suivre