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Dr Madiagne Diallo : L’innovation Technologique doit être au service du développement durable. 2ème partie et fin.

Dr Madiagne Diallo : L’innovation Technologique doit être au service du développement durable. 2ème partie et fin.

L’Etat sénégalais qui a débuté l’expérimentation des langues nationales depuis 1976, a opté depuis 2013 avec le programme E.L.A.N (École et langues nationales) pour l’introduction à l’école des six premières langues codifiées : le wolof, le sérère, le pulaar, le diola, le manding et le soninké. En témoigne Dr Madiagne Diallo, formé dans les premières phases pilotes des classes expérimentales en langues nationales qui estime que les évaluations faites dans ces classes bilingues encadrées, ont montré que ces élèves font de meilleures performances scolaires que ceux qui n’en bénéficient pas. L’introduction des langues nationales à l’école primaire peut répondre à un besoin de qualité, a soutenu notre interlocuteur. Selon lui, ‘’l’une des raisons de cette baisse de qualité, c’est qu’un enfant qui apprend dans une langue étrangère a déjà un double blocage, celui de la langue et celui de l’apprentissage. Ainsi, pour enlever ce premier blocage, il est important que l’enfant apprenne dans une langue qui lui est familière ». Aujourd’hui, a-t-il ajouté, « les acteurs sont convaincus qu’on ne peut pas développer l’éducation dans un pays sans s’appuyer sur les langues locales ».  Entretien

logo itw: Pouvez – vous nous parler de votre expérience de jeune scientifique qui enseigne dans une des plus grandes universités brésiliennes et qui a été formé en wolof et en français ? 

Dr M.D : C’est  par le plus grand des hasards que j’ai été amené à suivre un enseignement en langue wolof. Quand ma mère a voulu m’inscrire en 1978 à l’école primaire, il n’y avait plus de place disponible, c’est ainsi que nous avons été amenés, à apporter chacun un sac de ciment et une brouette de sable pour construire  notre salle de classe. Tout notre cursus primaire s’est fait en langue wolof et ce n’est qu’au CE2 que nous avons commencé l’apprentissage du français. Malheureusement, le programme a été supprimé par le Président Abdou Diouf en 1981. Nous avons tous décroché haut la main notre certificat d’études primaires avec le wolof. L’entrée en sixième était plus compliquée à cause de la dissertation en langue française. Quand je suis arrivé au collège, j’avais comme deuxième langue, le portugais considéré en ces temps comme une langue morte. Enfin au terme du cycle moyen, je suis arrivé au lycée Limamoulaye, et pendant tout mon cursus dans cet établissement, j’avais une moyenne de 19,9/20 en mathématiques et 18/20 en sciences physiques. J’y ai obtenu un bac D et j’ai été orienté en Faculté de Sciences au département de Math-Physique. Mes professeurs à l’UCAD doutaient de ma capacité à  réussir vu que je venais de la série D.  J’ai obtenu une bourse d’excellence du Brésil et j’y ai suivi une formation en génie électrique, puis une maîtrise en mathématique, un Master en économie mathématique, ensuite un Master en statistiques et optimisation en Allemagne avec un Doctorat en Aide à la Décision en France. J’ai aussi fait un Postdoctorat en Stratégie et Planification des Transports Urbains et Régionaux pour finir en 2005–2006 par un dernier Postdoctorat en Business Development in Telecom à l’Ecole Nationale Sup. des Télécommunications, en France. Dans mon cursus, tous mes examens et diplômes ont été sanctionnés d’une mention Très Bien.

: Vous faites partie des rares sénégalais les plus diplômés du Caire au Cap, alors (rires) ?logo itw

Dr M.D : vous savez, les connaissances ne sont utiles que si on les domine, les applique, les approfondit et les transmet pour servir. Depuis mars 2006, je suis  professeur, consultant et chercheur, au département de génie industriel, de la Pontificia Universidade Catolica de Rio de Janeiro au brésil. Et aujourd’hui je suis sollicité dans une dizaine de spécialités les plus modernes (Logistique, simulation, aide à la décision, stratégie et planification optimale, risques décisionels) et dont aucun pays sous-développé ne peut se passer.

Je coordonne le Laboratoire d’Aide à la décision, le Plan Directeur de Rio de Janeiro ainsi que les Relations Internationales et  la Stratégie de Développement. Tout cela n’est devenu possible que grâce à ma formation en langues nationales, car je comprenais naturellement ce que j’apprenais sans avoir besoin de le traduire. De ce fait, je me suis permis d’aborder plusieurs domaines de pointe relatifs aux Mathématiques de Décision. La plupart des gens qui dominent les langues nationales comme Cheikh Anta Diop, Abdoulaye Wade, Amadou-Mahtar Mbow, Sakhir Thiam, …  sont des pluridisciplinaires, ils ont la mémoire de créer, et c’est pour cela qu’ils ont fait le tour des facultés. Aujourd’hui, je parle couramment, en outre le Wolof, le français, l’anglais, le portugais, l’allemand et l’espagnol. Donc, apprendre une langue nationale au cycle primaire, ne veut pas dire, rater son avenir. Quand on relève ce défi, plus rien n’est impossible !

: Vous plaidez alors pour le retour des langues nationales dans le système éducatif ?logo itw

Dr M.D : Les langues nationales pour support d’enseignement/apprentissage dans le contexte de programmes par compétence sont plus bénéfiques. En effet, en se servant d’une langue maternelle pour l’enseignement/apprentissage, il y a continuité entre les savoirs du milieu et les savoirs scolaires. Le maître aide l’apprenant à mieux dire le monde, avec plus de précision et d’originalité, mais il ne détient pas tous les savoirs, cela permet plus de laisser la « place à l’esprit critique, au doute, à la formulation d’hypothèses, à l’erreur » et le développement méthodique et ordonné de l’esprit scientifique, comme le prône si bien les nouveaux programmes d’études en vigueur actuellement au Sénégal. En un mot, l’enseignement/apprentissage en langues nationales développe une théorie école-milieu/milieu-école.

Aujourd’hui, l’introduction des langues nationales à l’école est devenue irréversible. Au Sénégal, c’est une option politique. Mais malheureusement, introduire les langues nationales à l’école est une chose difficile. Il faut former les enseignants, éditer des manuels scolaires en qualité et en quantité, et améliorer l’environnement des écoles.

 :logo itwQu’en sera t-il alors du français qui est incontournable puisque tous les contenus pédagogiques sont réalisés dans ce vocable ?

Dr M.D : Je dirais plutôt que ce n’est pas juste le français qui nous permet d’avoir une élite bien formée. Un scientifique est par essence quelqu’un qui a la connaissance théorique et pratique. Si nous voulons une masse critique de scientifiques, il faudra assurer la formation dans la langue de naissance. Un sénégalais qui parle le wolof jusqu’à l’âge de six ans et  qui est  ensuite formé en langues étrangères aura difficilement la chance de devenir un Cheikh Anta Diop. Au contraire un sénégalais qui est né en France, qui y a grandi et dont les parents parlent le français pourra émerger du lot. C’est vrai que l’on ne peut pas changer le système mais si on sélectionnait au Sénégal et même dans chaque pays africain 1000 enfants qu’on forme dans les domaines scientifiques et technologiques en langue nationale du primaire à l’université, je suis persuadé qu’on aura des scientifiques de haut niveau. Ils vont impulser l’université et vont même en former d’autres et d’ici 20 ans, l’Afrique aura une masse critique de savants.  On pourrait agir de même avec la diaspora. Je propose qu’on  mette en place le Prix de la science et technologie des fils d’émigrés, ce qui va motiver nos expatriés à transmettre leurs connaissances à leur pays d’origine et par la même occasion instaurer une fructueuse collaboration. Ces futurs titulaires de diplômes en science et en technologie n’auront que l’embarras du choix en Afrique et à l’étranger. La pression sur cette ressource humaine ira en s’exacerbant, d’autant plus que le vieillissement des populations et la stagnation, voire le recul démographique dans le nord, créeront un vide qui va aspirer les jeunes scientifiques de nos pays pour accélérer le progrès dans des sociétés entrées  dans l’ère de l’économie du savoir. Le Nord aura besoin de cerveaux venus du Sud, formés en science, en technologie, et en mathématiques pour que sa dénatalité ne soit pas la source de son implosion économique, sociale et culturelle. Il nous appartiendra de tirer profit de cette nouvelle opportunité pour lever les obstacles au développement et conquérir des espaces de bien-être pour les populations.

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