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Dossier excision : la malienne Madina Bocoum Daff fait plier les chefs de village

A l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’excision ce 6 février votre magazine a fait le tour de la question avec des opinions divergentes. Dans ce premier article, nous partageons avec cet article qui parle de l’expérience d’une malienne qui a décidé de se battre contre cette pratique barbare, dans un pays où les croyances sont profondément ancrées dans les mœurs et difficiles à extirper.

Démonter les croyances, convaincre les habitants et les chefs de village que les femmes ne doivent plus souffrir et se taire : c’est le combat de Madina Bocoum Daff contre l’excision. Nous avons rencontré celle qui fait bouger les lignes au Mali, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre l’excision le 6 février. Aujourd’hui, 125 millions de femmes* dans le monde ont subi des mutilations génitales.

Elle s’appelle Madina Bocoum Daff et elle se bat depuis des années pour briser le tabou autour des mutilations génitales familiales au Mali. Elle est née à Kayes, tout près de la frontière sénégalaise. Et comme une trop grande majorité de petites filles, elle a été excisée. Elle ne se souvient plus vraiment de l’âge qu’elle avait, mais impossible d’oublier la souffrance ressentie. « Cette douleur, tu la gardes en toi toute ta vie. » Les règles, les relations sexuelles, les accouchements : chaque moment de sa vie intime ne va être qu’un douloureux rappel de ce moment où l’exciseuse a coupé son clitoris.

Les chiffres sont glaçants : sept millions de Maliennes ont subi des mutilations génitales en 2014 selon l’OMS. Et la moitié avant l’âge de cinq ans : « Elles ne peuvent pas dire non, ce sont des bébés », constate avec amertume Madina. Elle-même a eu quatre filles. Les deux premières ont été excisées. « Je n’avais pas assez de connaissances sur le sujet. Et ce n’est jamais la mère qui emmène son enfant chez l’exciseuse, c’est souvent une tante ou une voisine qui s’en charge, sans même prévenir. »

Des années après, quand l’ONG Plan International lui a proposé de coordonner le projet de lutte contre les mutilations génitales familiales au Mali, Madina a su qu’elle aurait une première barrière à surmonter : sa famille. Elle travaille donc avec l’organisation « en secret » mais lorsque sa mère le découvre, elle lui intime manu militari de démissionner. « Pour elle, une fille issue d’une bonne famille ne doit pas parler de ça. » Madina ne lâche rien. Elle qui a été la première de sa famille à se rendre à l’école, elle qui a raté des centaines d’heures de cours tellement elle souffrait, elle va démontrer les conséquences de l’excision et de l’infibulation sur la vie des femmes de la famille.

« TRAVAILLER SUR LES MENTALITÉS »

Chef de projet Plan International au Mali depuis quinze ans, elle a mis en place sur le terrain avec dix ONG locales tout un dispositif pour informer et protéger les femmes. Il faut parler, parler sans relâche. Rencontrer les chefs de village, être pédagogue et déconstruire les idées reçues. « Je condamne mais je ne juge pas », explique la sexagénaire, « car ces pratiques sont appliquées par ignorance ». « J’ai entendu des choses que je ne pouvais pas imaginer. Il y a beaucoup de croyances autour du clitoris, qui est vu comme un « organe maléfique ». » Par exemple, « si un homme se marie avec une fille non excisée, si son sexe touche son clitoris, il peut devenir impuissant ».

Autre lieu commun : « Au moment de l’accouchement, si le clitoris touche la tête du bébé, celui-ci va mourir » ou encore « une fille non excisée ne peut pas avoir d’enfant ». « Moi-même je n’en revenais pas ! Il faut donc trouver les arguments pour défaire ces croyances », précise-t-elle. Elle va ainsi répéter de village en village que dans le sud du Mali, où l’excision n’est pas pratiquée, les femmes ont eu des enfants.  « Tout le monde au Mali n’est pas devenu impuissant ! », s’exclame-t-elle en riant. Il est essentiel aussi pour elle de soutenir que « l’excision n’est pas qu’une « question de femmes » », comme elle l’a trop souvent entendu.

Les chefs de village, elle réussit peu à peu à les convaincre, entraînant dans son sillon les habitants. Si Madina espérait qu’une loi contre l’excision verrait le jour rapidement au Mali, elle reconnaît que depuis 2012 « cette question n’est plus prioritaire ». Mais elle s’accroche au fait que les choses bougent peu à peu. Ainsi, quarante-cinq chefs de village et dix-huit maires ont déjà fait des déclarations publiques pour proscrire les mutilations féminines. Et Madina n’est pas du genre à baisser les bras. Elle le répète comme un mantra, elle a fait de la lutte contre l’excision « le combat de sa vie ».

* En 2014, selon l’ Organisation mondiale de la santé.

Elle Magazine

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