Cette année, la fête de Pâques a été célébrée dans un contexte de pandémie due au coronavirus qui fait que les rassemblements ont été interdits. Année horribilis comme on dit mais qui a ceci de bon, elle nous permet de faire face à nos habitudes et à nos convictions afin d’en faire le tri et d’établir nos priorités.
Pour un pays à 90% de musulmans, il est étonnant de voir les complaintes des sénégalais par défaut de « ngalakh » ; cette délicieuse spécialité sénégalaise que les chrétiensliques préparent le jour du vendredi saint et qu’ils aiment partager avec leurs compatriotes musulmans. Il s’agit d’un mélange sucré du fruit de baobab avec du beurre d’arachides qu’on mange avec la bouillie. De mémoire de sénégalaise, je n’ai jamais vu des messages aussi dépités de gens dans les réseaux sociaux qui regrettent de ne pas recevoir leur pot de ngalakh !
Certains étaient même prêts à enfreindre les lois du couvre-feu en vigueur pour une petite cuillère du fameux jus ! Mais la réponse des chrétiens est restée toujours la même : « non ! pas de ngalakh cette année. Imaginez un peu que vous vous sentiez malade après avoir bu notre ngalakh hein ? que dire à vos familles si le covid19 passe par ce cadeau ? et quand bien même on la prépare, comment la distribuer alors qu’on nous a demandé de rester chez nous ? » Dont acte !
Mais en réalité, est-ce la seule raison ? Oui, il y’a l’obligation de respecter les règles d’hygiène et de distanciation sociale cette année mais, quand on discute avec certains de nos amis chrétiens, il se trouve que cette solidarité « ngalakh » commençait à peser très lourd sur le budget des offrants !
Le fardeau du ngalakh
En effet, de plus en plus l’arrivée du vendredi saint était attendue avec anxiété par certaines de nos amies chrétiennes : « il devenait difficile de faire face. Les coûts sont énormes. Il m’arrivait de distribuer jusqu’à 40 pots de 1l ! » me dit une collègue Mme Mbengue. En effet, dès que le vendredi saint arrive, les bureaux entrent en effervescence, chacun vient avec son pot. Les collègues chrétiens se retrouvent à distribuer des louches de ngalakh à gauche, à droite jusqu’à épuisement des gros sceaux ou bassines remplis à ras bord. Quand on sait que le pot des 500g de fruits de baobab coûte 700F CFA, le seau de beurre d’arachide de 5l est à 4500FCFA, le mil est à 350F le kg, imaginez combien il faut pour une bassine de 50l ou plus et ceci sans compter les intrants comme les essences alimentaires ou les noix de muscade, le prix de la transformation du mil, certains rajoutent du chocolat !
Bref, jusqu’à 100 000FCFA, ou beaucoup plus, il devenait « lourd » de faire montre de générosité en cette période de Pâques. Même avant le Covid 19 beaucoup de familles avaient diminué leur volume de ngalakh car cela induisait un trou dans leurs budgets. Ce symbole du dialogue islamo chrétien comme on le dit au Sénégal est donc bien menacé. Cependant, le ngalakh n’est pas la seule source d’inquiétude de nos amis chrétiens.
Les communions, un autre casse-tête
Après Pâques c’est aussi la période de célébration des communions des petits chez les chrétiens. La communion telle qu’organisée au Sénégal était aussi devenue une occasion de grands gaspillages. Une amie me fait cette confidence : « on loue une salle à 200 mille CFA, on habille l’enfant qui doit faire la communion (2 tenues, une le matin, une l’après-midi), on habille son parrain et sa marraine, parfois même, certains s’en choisissent deux de chaque sexe, on prépare beaucoup à manger, des plats avec du porc et des mets sans porc pour nos familles amis et voisins musulmans. Les boissons seront softs mais aussi il y aura des liqueurs et de la bière à gogo. Le meilleur est que depuis quelques années, la mère du petit baptisé ou de la petite baptisée va devoir faire un « yebbi » à la sénégalaise à l’image des cérémonies de mariage traditionnel musulman. Elle va offrir des coupons de tissus à toutes les tantes de l’enfant, à ses oncles et à ses grands parents ! Cela en est rendu que les banques proposent maintenant un « prêt spécial communion » à l’approche de ces fêtes ! Vous vous rendez compte ? Et bien sûr beaucoup d’entre nous s’endettent et se mettent à rembourser pendant des années. C’est l’enfer ! »
Alors, voilà à quoi nos compatriotes chrétiens ont échappé cette année à cause du confinement dû au coranavirus. Presque une aubaine, si on n’avait pas une pensée charitable envers les malades. Ah ! sacré coronavirus, qui nous révèle à nous-mêmes et à nos chimères. En tous cas, on aime beaucoup cette nouvelle façon de fêter Pâques.
Vive la nouvelle Pâques !
Crédit photo : dakaractu, la croix africa