Les Sénégalais mangent mal « Les armes de destruction massive sont dans nos assiettes », a ironisé le Pr Abdoul Ba lors de la journée mondiale de l’alimentation, soulignant que les Sénégalais doivent « revisiter leurs habitudes alimentaires ». En effet, tout est pour le riz. Le Sénégal consomme, en moyenne, un million de tonnes de riz blanc par an. La production locale reste très faible pour couvrir correctement ces besoins. Pour combler le déficit entre la production locale et les besoins nationaux, en matière de consommation de riz, le Sénégal fait recourt aux importations, essentiellement composées de brisures, provenant de pays asiatiques pour la plupart.
Les importations ne sont pas sans effet sur le déficit de la balance commerciale de notre pays puisqu’elles occasionnent des pertes en devises de l’ordre de 150 milliards par an. Aujourd’hui, le sac de riz de 50 kilogrammes est vendu à près de 18.000 FCFA. Quel Sénégalais avec une famille moyenne de 10 personnes pourrait se payer deux sacs de 50 kg à près 40.000 FCFA, sans compter les charges quotidiennes de la maison ? En définitif, le problème est là, l’inflation est sans équivoque d’autant plus que les chiffres parlent d’eux même. Mieux vaut prévenir que guérir, du coup, le président de la République, Son Excellence Macky Sall a sorti une arme secrète, « digne d’une campagne de Mao » : « L’autosuffisance alimentaire en riz. » Objectif : briser la fatalité de son pays de 13 millions d’habitants, contraint d’importer 60 % de ce qu’il consomme. Comment ? En produisant 1.600 000 tonnes de riz. Quand ? En 2018, c’est-à-dire demain !
Nous saluons la volonté des nouvelles autorités de s’appuyer sur l’agriculture comme véritable levier de développement et partageons l’option d’aller vers l’autosuffisance alimentaire en riz. Mais, qu’en est-il des autres céréales tels que le maïs, le mil, le niébé et même le sésame promues par l’initiative de la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) de l’ancien Président de la république ? L’autosuffisance alimentaire passe inéluctablement par la consommation des produits nationaux. La réalité, selon les spécialistes, est qu’aucun pays en Afrique de l’Ouest ne peut dire qu’il peut assurer seul son autosuffisance alimentaire. C’est le point de vue partagé par le Réseau des organisations paysannes et de producteurs africains (Roppa). Dans le processus, toute stratégie de relance de l’agriculture ne devrait être qu’une étape dans la mise en œuvre d’une politique réelle de relance de l’agriculture au Sahel et dans la sous-région. Car au Sénégal, si comme l’ont noté les nutritionnistes, les céréales constituent la base de l’alimentation sénégalaise, il faut encore regretter que près de 72 % des calories céréalières sont apportées par le riz qui est principalement importé.
Les produits locaux comme le fonio ont encore du mal à être valorisé en dépit des efforts faits, pour le décorticage et le traitement. D’autres produits comme le manioc qui sert à faire le Gari sont encore consommés très peu dans les familles. Le Maïs aussi comme le niébé ne sont pas au mieux dans les assiettes. Et dans ce contexte d’urgence, l’évolution des habitudes alimentaires est plus que jamais souhaitable pour les finances du pays comme pour la bourse des consommateurs. Mais faudrait-il travailler en amont pour que les produits locaux soient attractifs aux yeux du consommateur local.
Les politiques de développement agricoles aussi excluent les femmes, qui représentent environ 70 % de la main-d’œuvre agricole et produisent entre 60 et 80 % des denrées alimentaires. Elles sont en contact permanent avec la nature et ce sont elles qui traitent, gèrent et commercialisent ces denrées. Elles ne possèdent que 2,5 % des droits de propriété, leur accès à la terre est régi par des droits d’usage coutumiers. Elles peuvent se voir brusquement dépossédées de terres qu’elles ont patiemment mises en valeur. À ce niveau, les autorités ont beaucoup à faire. De plus, faute d’analyse de genre, les politiques de développement ont souvent aggravé l’exclusion des femmes de la propriété foncière, de l’accès à la formation, aux outils, aux intrants et de la participation aux prises de décision.
Il en est de même pour les actuelles « transactions foncières » : les femmes sont souvent exclues des négociations formelles et informelles locales et nationales sur l’usage des terres et les sommes qui peuvent leur être allouées à titre de compensation sont généralement moindres. Pourtant, de nombreuses études ont montré le rôle des femmes dans le maintien d’une agro-écologie préservant la biodiversité, le renforcement des cohésions sociales par leurs pratiques organisationnelles collectives.
En 2014, les femmes rurales du Sénégal ont fait une déclaration lors de la Foire internationale de l’agriculture et des ressources animales et de la Journée internationale des luttes paysannes. Elles rappellent que « sans un accès équitable et un contrôle des ressources par les acteurs du monde rural en général et les femmes productrices en particulier, les Objectifs du millénaire 1 et 3, “réduire l’extrême pauvreté et la faim et promouvoir l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes” ne pourront pas être atteints en 2015 ». Elles demandent à leur pays de « mettre fin aux accaparements de terres et de reprendre le contrôle des terres spoliées puisque la terre doit appartenir à celles et à ceux qui la travaillent pour se nourrir et nourrir le pays ». Pour reprendre le fameux slogan distillé partout : »bey lo dundee, dundee lo bey » Dans un contexte où le retour aux céréales locales ne fait l’objet depuis le début du magistère du Président Macky Sall, d’aucune forme de communication, on peut se demander comment fera l’État pour imposer la consommation de ces produits issus de l’agriculture (mil, maïs, niébé, jusqu’au manioc), pour assurer le sécurité alimentaire.
Des campagnes de valorisation des produits nationaux devraient être mises en place tout au long de l’année pour informer et inciter la population de la nécessité de consommer local. Dès lors, il convient de lui faire comprendre que par cet acte, elle a tout à gagner et rien à perdre : consommez local et vous aurez fait quelque chose pour votre pays, Consommer local, un signe de patriotisme. Consommer local pour sauver l’économie nationale. Que de slogans pourraient être adaptés à une campagne de mobilisation et d’éducation pour la consommation locale. Une autre solution qui appuie celle de la consommation locale est la mise de normes sur la qualité des produits nationaux. Un niveau de qualité comparable à celui des produits importés sera imposé aux producteurs et le consommateur sera averti. L’État a aussi tout à gagner à réduire la dépendance de l’extérieur en baissant les importations, casser les monopoles pour favoriser la création et le développement de PME qui vont produire à l’échelle nationale et instaurer des mesures incitatives en subventionnant les céréales locales. L’État, avec l’appui de ses partenaires, devra accompagner ces initiatives à travers des campagnes de promotion et de sensibilisation pour un changement de comportement.