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Comment faire face au harcèlement à l’école ? Une psy livre son remède…

Le harcèlement de certains élèves sur leurs camarades est malheureusement une réalité partagée sous tous les cieux par les élèves du monde entier. Comment y faire face efficacement ? Si chaque parent a son idée sur la question, cette psychologue  nous donne « sa » solution qui semble donner de bons résultats. Sans être psy on peut toujours essayer…

Emmanuelle Piquet : Je me suis rendue compte très rapidement que la souffrance dans la cour d’école était un problème très récurrent. Je voyais défiler dans mon cabinet des enfants qui se mettaient à faire de violentes crises d’angoisse, qui somatisaient, qui avaient des maux de ventre, des insomnies, des crises d’énurésie (fuite d’urine involontaire chez un enfant de plus de 5 ans) ou qui étaient en plein décrochage scolaire à cause d’harcèlements.

Et ils ne parvenaient pas à en parler à leurs parents, par peur de leur réaction et/ou de leur intervention. Ils m’expliquaient tout ça, et je me disais que c’était vraiment dommage qu’on n’ait pas de vraies solutions à leur proposer à eux, en tant qu’acteurs dans cette démarche. Formée à l’école Palo Alto, qui est très concrète et offre une approche pragmatique des problèmes relationnels, j’en suis venue à modéliser des stratégies pour les aider à s’en sortir.

Dans le cas du harcèlement scolaire, en quoi consiste donc ces prescriptions comportementales ?

E.P : Beaucoup trop fréquemment, ce qui est mis en place dans les cas de harcèlements scolaires, c’est de sortir complètement l’enfant de l’affaire, de le mettre sur le banc de touche et de s’en occuper à sa place. Les parents interviennent, les professeurs interviennent, les infirmières scolaires interviennent… Ils vont dire au harceleur d’arrêter « d’être méchant », éventuellement le punir ou le menacer, mais ça ne marche pas. Lui, tout ce qu’il voit, c’est qu’il arrive à mobiliser et à faire enrager des adultes : c’est une grande fierté pour les gamins de leur âge ! Et en plus, cette mobilisation est un aveu indirect de la faiblesse de la proie qu’il s’est choisi : ça ne lui donne que davantage de raisons de continuer…

Les prescriptions comportementales qu’on lui fournira lors des séances ont pour but de l’aider à agir.

Comment lui apprenez-vous à agir ? En lui apprenant à répliquer ?

E.P : C’est exactement ça. On leur conçoit des flèches, c’est-à-dire des répliques, des petites phrases choc qui vont les aider à inverser le rapport de domination, parce que c’est ça, le fondement du harcèlement : un enfant qui prend le pouvoir en en dominant un autre. Il faut inverser ce rapport de forces, et les flèches sont là pour ça.

D’où sortent ces réparties, ces « flèches »? Vous les inventez ?

E.P : Oui, nous n’avons pas de flèches toutes prêtes, nous les trouvons et les adaptons à chaque situation. Je crois d’ailleurs que je n’ai jamais utilisé deux fois une même flèche ! Il faut qu’elle prenne en compte le contexte, les spécificités du harcelé et du harceleur pour qu’elles soient efficaces. C’est pour cela que nous travaillons en équipe, lors de séances collectives : on fait tous marcher nos cerveaux pour créer la flèche la mieux adaptée, et donc la plus efficace possible dans une situation donnée.

Comment sortez-vous un enfant du harcèlement scolaire ? Quelles sont les étapes de la thérapie ?

E.P : On règle le problème en 3-4 séances en moyenne. Lors de la première séance, on va chercher à mieux appréhender les spécificités du cas en demandant à l’enfant de décrire le plus précisément possible les situations qu’il a à affronter. On le pousse à aller chercher des éléments, à prendre du recul pour pouvoir nous raconter ce qui se passe. Ça aide l’enfant à dépasser l’état de repli sur soi qu’il a adopté pour se protéger, mais surtout, ça nous donne des informations importantes pour fabriquer des flèches efficaces.

On s’en occupe lors de la deuxième séance : on propose plusieurs flèches à l’enfant qu’on pense pouvoir marcher, et on lui demande de choisir celles qu’il préfère et qu’il arriverait à utiliser. Durant la 3ème séance et 4ème séance, on débriefe pour s’assurer de l’efficacité des flèches, et on vérifie que l’enfant a bien intégré le mécanisme de défense et ne retombera pas dans la soumission muette dès qu’il aura tourné les talons !

Etant mère de quatre enfants, que préconisez-vous aux parents de faire, puisqu’ils ne peuvent pas agir à proprement parler, face à la détresse de leurs enfants ?

E.P : Ils peuvent agir, mais pas à la place de l’enfant. C’est très difficile, honnêtement, ça donne envie de les tuer tous, on se transforme en maman lionne… Mais il faut penser au bien-être de votre enfant et lui apprendre à se défendre. En fait, c’est vraiment pour aider les parents que j’ai écrit «Te laisse pas faire ! » C’est un petit guide de conseils qui s’adresse directement aux parents et les aide à trouver avec leurs enfants des flèches efficaces. Certains parents viennent au centre pour valider leurs flèches avant d’en faire part à leurs enfants, et généralement, elles sont très bien !

Donner des « flèches » aux enfants, cela revient en fait à leur apprendre la répartie. Vous ne pensez pas que parfois, ça risque d’envenimer les choses en faisant le jeu de l’agresseur ?

E.P : Je crois l’inverse, je pense que c’est parce que l’enfant ne fait rien que la situation s’aggrave, parce qu’il ne pose pas de limites. Ça fonctionne exactement pareil que dans les cas de violences conjugales : plus un mari bat sa femme, plus elle est soumise, et plus elle est soumise, plus il la bat. Il y a une escalade dans la violence lorsque le rapport de domination s’accentue, en poussant l’agressé de plus en plus vers le bas. C’est comme ça qu’on va vers des conséquences dramatiques. Pour moi, il faut agir avant de laisser le temps au rapport de force de se creuser. L’inaction n’arrête rien : elle incite. Et pourtant, le conseil le plus donné aux enfants dans ce genre de cas est « Ignore-les », « Ne fais pas attention à eux », ou « Réponds pas, ça sert à rien ». Et ça, c’est catastrophique !

Qu’est-ce qui fait qu’un enfant devient victime ou harceleur ?

E.P : Tout enfant, quel qu’il soit, peut avoir un moment de vulnérabilité. Ça peut être qu’il grandit et se sent mal dans sa peau, parce qu’il s’est disputé avec ses copains, parce que son chat est mort, ou toutes sortes de situations variables. Vulnérable, dans notre jargon, ça signifie que l’enfant est fragile et repérable, à la manière d’un lapin tétanisé par un oiseau de proie.

Et certains enfants ou adolescents ont un radar hypersensible pour détecter la vulnérabilité. Ce ne sont pas des monstres ou des tyrans, mais simplement des jeunes, qui comme tous les enfants du monde aujourd’hui, n’ont qu’une crainte : se retrouver assis tout seul sur un banc à faire semblant d’envoyer des SMS. Et cette injonction à la sociabilité est devenue encore plus forte avec le développement des réseaux sociaux ! Ces enfants-là deviennent harceleurs pour ne pas être seuls : terroriser les autres, c’est aussi une manière de ne pas être le « cassos » qui mange seul à la cantine le midi. Si en plus vous êtes un minimum drôle, bingo : vous avez du pouvoir ! Ça peut arriver à absolument n’importe quel enfant d’être harcelé ou d’harceler.

Et pensez-vous que l’usage de flèches peut suffire à aider un enfant sur le long terme à ne plus être vulnérable, à se sortir de son rôle de victime ?

E.P : Je crois que oui. Les enfants harcelés arrivent chez nous avec une seule conviction : ils seront toujours faibles. On leur montre avec les flèches que non. Le fait que face à un agresseur, il arrive à renverser la situation et à se sortir seul de sa position de victime, change sa manière de penser. Ça leur apprend quelque chose qui dépasse la simple résolution du cas de harcèlement et qui les aidera tout au long de leurs vies : j’arrêterai d’être faible si j’agis, j’ai la force de transformer une situation et de me protéger. Concevoir des flèches pour inverser des rapports de force, c’est un apprentissage plus global, qui pourra les aider à se protéger tout au long de leurs vies.

 

Source: TF

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